Monster Boy : famille, je vous flingue

par | 18 novembre 2014 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques, VOD/SVOD

Monster Boy : famille, je vous flingue

Mélange de drame tordu et de thriller expéditif, Monster Boy marque le retour au premier plan, 10 ans après, du réalisateur de Save the green planet !

Dans l’étroite bulle du cinéma sud-coréen (qui ne tutoie pas encore les sommets d’hyperactivité qu’a connu Hong-Kong), une absence de dix ans peut sembler être une éternité. Pourtant, Jang Joon-Hwan l’assure, il ne s’était pas mis à la poterie depuis la sortie de son premier film Save the green planet !, OVNI total qui mélangeait les genres avec une audace folle, quitte à désarçonner les fans les plus endurcis de la « nouvelle vague » locale. C’était il y a une décennie, donc, et depuis Joon-Hwan a essayé suite à ce qui fut un véritable échec commercial, de mettre d’autres projets sur pied, jusqu’à ce que l’opportunité de réaliser ce Monster Boy, alias Hwayi, se présente.

Succès modeste au box-office coréen en 2013, ce thriller présente en apparence tous les ingrédients habituels du genre le plus prisé des producteurs : un postulat de départ original et excitant, un héros tourmenté, une foule de sous-intrigues convergeant vers un unique dénouement, de l’ultra-violence qui n’épargne personne et surtout pas les femmes, une grosse pincée de mélodrame… Joon-Hwan se serait-il fondu dans la masse pour revenir au premier plan ?

Cinq pères pour un destin

Monster Boy : famille, je vous flingue

Hwayi (le plutôt juste Yeo Jin-Goo, No Mercy for the Rude) mène une vie tranquille, mais particulière avec ses cinq « pères », en fait de redoutables tueurs formant un gang recherché par toutes les polices. Enfant, Hwayi a appris le maniement des armes en tous genres, devenant un adolescent renfermé, mais désormais tout aussi dangereux que ses pères « adoptifs ». Le jour vient où il doit remplir sa première mission : mais les choses tournent mal et Hwayi découvre par un enchaînement de circonstances malheureux que sa famille lui a caché des choses. Qui est-il vraiment ? Son destin est-il vraiment une fatalité ou a-t-il encore le choix de devenir quelqu’un d’autre, de ne pas se laisser avaler par sa « monstrueuse » part d’ombre ? En proie au doute, Hwayi va pourtant avoir l’occasion de démontrer que les leçons qui lui ont été inculquées ne sont pas inutiles…

« Le cinéaste, s’il démontre une maîtrise épatante pour l’orchestration de l’action, demeure adepte du contre-pied et du symbolisme formel. »

Tout comme Save the green planet ! se basait sur un argument de départ aussi insolite que facile à résumer (un doux dingue kidnappe un grand patron afin de lui faire avouer qu’il est bien un extraterrestre), Monster Boy pique notre intérêt dès ses premières minutes en nous présentant cette famille dysfonctionnelle en diable, avec ses cinq gangsters que Hwayi appelle tous « papa » (et « père » pour le plus intimidant d’entre eux), à la fois impitoyables dans leurs activités et potaches avec ce rejeton dans lequel ils projettent tous leurs semblants d’émotions. La « famille », retranchée depuis des années dans un décor des plus originaux (une pépinière en rase campagne, où se trouve la jolie et révélatrice explication du prénom Hwayi), se compose également d’une femme-esclave qui sert de mère de substitution. Le personnage, à la fois pathétique et exagéré, sert avant tout à remettre en perspective le gentil côté papa poule de ces agités du couteau et de la gâchette.

Symbolisme et règlements de compte

Monster Boy : famille, je vous flingue

À mi-parcours, Joon-Hwan délaisse le côté relationnel de ces personnages difficiles à cerner pour faire parler la poudre : côté action, Monster Boy se situe au niveau des productions habituelles du genre, avec ses poursuites à tombeau ouvert, ses combats rapprochés tranchants et ses fusillades faisant la part belle aux amputations instantanées. La violence n’a rien de véritablement réaliste : le cinéaste, s’il démontre une maîtrise épatante pour l’orchestration de ces séquences (toujours lisibles, toujours inventives, parfois même audacieuses), demeure adepte du contre-pied et du symbolisme formel. Témoin, cette apparition récurrente et étonnante d’un monstre souterrain à la Del Toro, visualisation limpide de la part d’ombre qui menace d’engloutir l’âme de Hwayi, et métaphore de l’influence que son terrible « père » (Kim Yun-Seok, à l’affiche également de Sea Fog, encore plus renfrogné que d’habitude) exerce sur lui. De manière certes schématique, cet argument fantastique sert de catalyseur à l’évolution de Hwayi, qui presque à regret, doit se retourner contre le gang, pour, littéralement, tuer le (s) père (s).

Plus qu’un film sur la transmission, Monster Boy s’apparente à un drame sur l’identité. Le contrat que doit remplir Hwayi sert en effet de déclencheur narratif (de manière un peu facile, d’ailleurs) à une quête de soi qui l’amène à se poser des questions essentielles. Est-il fondamentalement mauvais ? Peut-il changer, s’échapper de l’ombre écrasante de ses pères, qui lui ont appris à devenir un tueur précocement redoutable ? Autant de notions et de tiraillements qui font du film plus qu’un divertissement brutal et bien mené, convaincant malgré ses quelques errances – notamment une fin tarabiscotée qui tire en longueur et pêche par excès de mélodrame. La « patte » de Jang Joon-Hwan, si elle semble diluée dans un cahier des charges handicapant (l’inclusion d’une sous-intrigue avec un flic coriace, en plus d’être un raccourci facile, paraît totalement satellitaire et accessoire), est bel et bien à chercher ici, dans ces embardées psychotiques et cette peinture de gangsters trop ambivalents et attachants pour être totalement condamnables – mention spéciale à l’épatant Cho Jin-Woong, qui continue après Hard Day et L’Amiral de marquer les esprits. Espérons maintenant que Jang Joon-Hwan n’attende pas dix ans pour refaire parler de lui.