Frozen hot boys : la Thaïlande envoie son Rasta Rockett

Décalages culturels, sculptures sur glace et réinsertion carcérale s’entrechoquent dans ce Frozen hot boys plutôt réussi.
Alors que le cinéma thaïlandais se résume dans nos salles obscures à son maître de l’art et essai, Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee, Palme d’or 2010), le marché du DVD et Netflix sont des bénédictions pour les fans désireux d’apprécier les films et séries du Royaume du Siam dans toute sa variété. C’est sur la plateforme que nous avons découvert les talentueuses actrices Chicha Amatayakul, (la terrifiante Nanno dans Girl from Nowhere) et Chutimon Chuengcharoensukying, dans l’excellent et original Bad Genius, qui suivait une bande de lycéens experts dans la triche – son nouveau film Hunger, très bon thriller culinaire, est lui aussi sur la plateforme. Au vu de la qualité du catalogue thaïlandais, c’est avec de grandes attentes que l’on s’est attaqué à la comédie Frozen hot boys, premier film de Tanakit Kittiapithan et Naruebordee Wechakum. Une nouvelle réussite ?
Un scénario en trompe l’œil

Comptant à leur palmarès Rasta Rockett, Le Grand Bain ou Les crevettes pailletées, les histoires d’équipes sans talent ou rejetées de tous qui, aidées d’un mentor, gagnent une compétition et in fine le respect, forment un sous-genre à bout de souffle. Le déroulé est usé jusqu’à la corde : les qualifications in extremis, le découragement après les premières défaites, le dédain des autres équipes, le coach en mode « vous ne vous battez pas pour la médaille, mais pour donner l’exemple » et un happy end avec une victoire ou une défaite dans l’honneur. Il y a des exceptions comme l’excellent film français Vingt Dieux et sa compétition fromagère qui bousculait les conventions, mais elles sont rares. Les prémices de Frozen hot boys laissent croire que le film va suivre cette autoroute sans aspérité, en plagiant même honteusement Rasta Rockett et ses bobeurs jamaïcains n’ayant jamais connu la neige.
« Le film est plus qu’une simple comédie aux ressorts usés. »
Dans un centre de redressement pour jeunes de Bangkok, Madame Chom (émouvante et sincère Natapohn Tameeruks, connue pour des séries TV locales) est une professeure d’art désabusée. Elle ne vit que pour retrouver son père qui a refait sa vie au Japon à Sapporo, connue pour ses stations de ski et son concours de sculptures sur glace. L’arrivée de Jab (très juste Nuttawat Thanataviepraserth) délinquant violent, mais habile sculpteur sur cire, va lui donner l’idée de créer une équipe de détenus pour participer au concours afin de renouer avec son père et remettre ses élèves sur le droit chemin. Avec ces quelques lignes, on s’attend à une comédie jouant à fond sur l’opposition entre froid et soleil de Thaïlande, les gags sur la vie japonaise, l’esprit de compétition naissant malgré le découragement… Eh bien le bingo sera à moitié coché ! Car Frozen Hot boys sait déjouer les attentes en adoptant un ton plus sérieux et en prenant quelques virages scénaristiques.
Un film éminemment politique

Certes, la comédie oscille ici entre le franchement douteux (des gags récurrents sur la gourmandise d’un obèse) et le burlesque, avec une statue en glace assez drôle lors des qualifications. Les gags sur la neige et le gel, comme dans Rasta Rockett, sont bien là, comme les moments à la Rocky. Mais tous ces éléments paraissent comme des passages obligés. Car le cœur du film cherche à faire réfléchir sur les politiques carcérales, la rédemption et les moyens de réinsérer avec dignité des criminels dans la société.
En effet, une des originalités de l’équipe est qu’elle n’est pas composée que de petits délinquants rigolos, mais aussi de vrais criminels, dont les méfaits nous sont présentés de façon assez gore. Ce qui atténue au départ la sympathie que l’on peut avoir pour eux. La mère d’une victime hurlera tout haut ce que peut penser la vox populi d’une telle initiative lors du départ pour le japon : « Est-ce que le meurtrier de mon enfant a droit à une seconde chance ? Alors que mon enfant n’a pas eu la chance de vivre ? »
L’humanisme derrière les rires gras

Au-delà de la gaudriole, Frozen Hot Boys cherche à démontrer qu’une politique pénale/carcérale n’est pas là pour se venger ou humilier les détenues, mais à faire en sorte qu’à la fin de leurs peines, ils puissent se réinsérer par le travail. Vaut-il mieux laisser ces jeunes aux mains de matons sadiques qui les brutalisent (terrifiantes scènes) ou sous la coupe de gangs, alors que si l’on finance des programmes ambitieux qui valorisent les talents, toute la société en profitera ?
Le propos peut paraître assez binaire, mais alors qu’en France, toutes les initiatives culturelles des détenus sont critiquées et menacées d’annulations, on voit que le message très politique de Frozen hot boys est terriblement d’actualité et va au-delà de la situation thaïlandaise. Alors, attention : le film reste une comédie et non un pamphlet politique anti-prison, mais le message est bien là. En conclusion, Frozen hot boys est une très bonne surprise grâce à son discours progressiste, son désir d’offrir plus qu’une simple comédie aux ressorts usés, sa joyeuse bande émouvante… et à Madame Chom qu’on rêverait d’avoir comme professeur. C’est pourquoi ses principaux défauts (réalisation impersonnelle, humour parfois limite, rythme en dents de scie) sont vite pardonnés.