Exhuma : la Corée déterre de nouveaux frissons

Rituels ésotériques, fantômes vengeurs et traumas nationaux s’entrechoquent dans Exhuma, film fantastique qui ne manque pas d’originalité.
C’est une filmographie bien particulière que Jang Jae-hyun est en train de se construire depuis 10 ans. Le réalisateur sud-coréen a fait une entrée remarquée dans l’industrie en 2015 avec The Priests, rapidement étiqueté ersatz de L’exorciste, avant de livrer le plus discret (et sorti chez nous sur Netflix) Svaha : The Sixth Finger en 2019 et de cartonner, le mot n’est pas trop fort, dans son pays natal avec Exhuma, LE succès monstre de 2024 avec plus de 12 millions de spectateurs. Ces trois thrillers fantastiques ont en commun une chose : leur thème central est la foi et la religion, ou plutôt les religions. La Corée du Sud est une nation où chamanisme, bouddhisme et chrétienté cohabitent dans un joyeux entrelacs de traditions ésotériques, et qui se nourrit également des croyances plus ou moins païennes de ses encombrants voisins, au premier rang desquels le Japon et la Chine. Sous les allures de film d’horreur frissonnant et grand public, Exhuma tente d’amalgamer ces thématiques au cœur d’une histoire de cadavres déterrés qui fait remonter à la surface des préoccupations bien plus profondes qu’il n’y paraît.
Chasseurs de malédiction en péril

Bien qu’ils ne se définissent pas comme des chasseurs de fantômes, les quatre héros d’Exhuma n’en sont pas moins des spécialistes de l’indicible et du surnaturel. La chamane Hwa-rim (Kim Go-eun) et son disciple tatoué Bong-gil (Lee Do-hyun) sont des médiums réputés, appelés aux USA par un milliardaire coréen pour lever la malédiction qui pèse sur tous les premiers fils de sa famille. Une tâche ardue qui nécessite de faire appel à leurs aînés, le géomancien Kim Sang-deok et son partenaire croque-mort Yeong-geun (les indispensables Choi Min-sik et Yoo Hae-jin). Le quatuor est mis sur la piste de la tombe d’un patriarche de ladite famille, érigée au sommet d’une sinistre montagne, près de la frontière avec la Corée du Nord. Leur objectif : exhumer le cercueil du défunt, qui pourrait exercer son courroux depuis l’au-delà, pour l’enterrer dans un lieu plus « sain » ou, à défaut, l’incinérer. L’instinct de Kim Sang-deok lui souffle que malgré tous les rites chamaniques et précautions qui peuvent être prises, déterrer le passé pourrait leur être fatal. Et au vu de ce qui se trouve six pieds sous terre, enterré là depuis des décennies, voire plus, il n’a sans doute pas tort d’avoir peur…
« Jang Jae-hyun signe un petit et efficace coup de maître ! »
Rarement l’image d’un scénario construit en couches de mystères successifs aura été aussi limpide qu’avec Exhuma. Découpé en chapitres, selon une narration épisodique qui le rapprocherait d’une série TV resserré en 2h15, le film de Jang Jae-hyun, présente rapidement ses personnages – dont la personnalité reste intrinsèquement liée à leur profession – avant de se concentrer sur l’enjeu unique et insondable de son aventure : une tombe flippante, qui révèle à chaque coup de pelle de nouvelles menaces, bizarreries et monstruosités insoupçonnées. Un parti-pris culotté puisque le cinéaste se permet carrément de modifier les enjeux, l’atmosphère et le registre esthétique d’Exhuma à mi-parcours. C’est comme si le long-métrage en renfermait deux pour le prix d’un, le premier ressemblant à du James Wan asiatique tandis que le deuxième s’adonne au bis folklorique le plus casse-gueule, à coup de yokaïs et de créatures surgies du passé. Le tout pourrait évoquer une version plus triviale du génial The Strangers de Na Hong-jin, qui mélangeait lui aussi chamanisme et récit à tiroirs explorant le passé conflictuel de la Corée du Sud.
Un passé monstrueux peut en cacher un autre

Ce serait nier un peu vite l’identité distincte d’Exhuma, certes bien plus commerciale dans son approche, mais pas moins ambitieuse dans sa façon de jongler avec des ingrédients disparates au fil d’un récit qui ne cesse de se réinventer. Exhuma en devient parfois limite inintelligible – notamment lorsqu’il faut raccrocher les wagons de la mythologie ancienne qu’il convoque sans prévenir. Mais l’excellence des acteurs (au premier rang desquels le toujours magnétique Choi Min-sik), l’ambiance parfaitement lugubre qui plane sur tout le métrage, soutenue par une photo inspirée et des décors naturels fascinants, permet de maintenir intacte l’attention, et même plus – quand un fantôme investit une maternité avec de noirs desseins ou que l’éveil nocturne d’une force obscure déclenche une séquence carpenterienne jouissive, fini de rigoler : on se ronge les ongles pour de bon. Le succès dantesque d’Exhuma en Corée du Sud est incontestablement une bonne nouvelle pour le cinéaste et pour le genre local. Nul doute que Jae-hyun va pouvoir continuer à creuser le sillon de l’horreur théologique, après ce petit et efficace coup de maître, qui méritait peut-être mieux qu’une diffusion confidentielle sur Insomnia.