His House : les fantômes du déracinement
Quand l’épouvante se marie avec le réalisme social de la grisaille londonienne, cela donne His House, un film fantastique plus politisé que la moyenne.
Le film d’épouvante « moderne », marchant dans les traces de James Wan et des succès de Blumhouse, a été mis à de nombreuses sauces ces dernières années, mais rarement a-t-il pris un aspect aussi original que dans His House, premier long-métrage de Remi Weekes. D’origine britannique, cette nouvelle exclusivité Netflix ancre son histoire de maison hantée dans un contexte douloureusement réaliste, ce qui ne l’empêche d’embrasser pleinement sa dimension de « film de flippe » gorgé de visions infernales et traversé de quelques jump scares efficaces.
Les héros de His House, Rial et Bol, sont un couple de Soudanais ayant fui leur pays et la guerre civile pour tenter leur chance en Angleterre. Comme des milliers d’autres migrants, ils ont dû traverser la Méditerranée avec les moyens du bord et ont connu la tragédie en perdant leur fille pendant la traversée. Cette perte terrible paraît s’éloigner quand le couple apprend que les services sociaux londoniens leur ont octroyé, après une année en centre de rétention, un vrai logement : un petit pavillon situé dans une banlieue grisâtre et inquiétante de la capitale. Mais une maison à eux, malgré tout et, comme le pense Rial, un lieu idéal pour espérer un nouveau départ et refaire leur vie. « Notre maison est ici maintenant », répète-t-il. Mais la nuit venue, des bruits et des visions perturbent leur tranquillité. Une présence rôde entre les murs, derrière les murs. Le passé ne semble pas prêt à laisser Rial et Bol tranquilles…
Un refuge tout relatif
Riche de son parti-pris unique qui lui assure de se démarquer de la masse des films d’angoisse (on peut en gros le présenter comme un croisement de Citadel, Ken Loach et du récent Atlantique de Mati Diop), His House se montre à la hauteur de ses intentions socio-horrifiques. Weekes captive en se concentrant sur la psyché de ses personnages, deux rescapés d’une horreur brute, réelle et insensée qui confrontés à une nouvelle existence urbaine et occidentalisée, semblent hébétés à l’idée de pouvoir vivre normalement. L’espoir fait bientôt de leur maison une prison, car l’idée brillante de His House est que Rial et Bol ne peuvent fuir leur pavillon et ses spectres qui rampent derrière les cloisons ou traversent la cuisine dans le noir. Il faut y rester ou retourner à leur point de départ, donc en arrière, vers ce cauchemar que chacun pensait derrière lui. Quel que soit leur choix, l’unique porte de sortie est de se confronter à l’irrationnel, les yeux dans les yeux…
« His House donne corps à une parabole touchante de l’immigration forcée, dans ce qu’elle a de sacrificiel, de désespéré. . »
Là aussi, His House fascine par l’inclusion d’un folklore inédit. Le film est certes traditionnel dans ses effets, bien gérés, mais sans grande surprise (mention spéciale au sound design tout de même, qui en fera frémir plus d’un), mais les visions convoquées par Weekes frappent l’esprit, depuis ce travelling arrière faisant basculer une scène de repas dans un onirisme aquatique du plus bel effet, à ces confrontations avec un impressionnant mauvais esprit aux yeux perçants. Les croyances de nos héros font qu’ils traitent le surnaturel comme une réalité entendue, la manifestation d’un passé non résolu (l’histoire de leur fuite repose sur un secret enfoui qui est l’origine de leur malédiction). His House donne ainsi corps à une parabole touchante de l’immigration forcée, dans ce qu’elle a de sacrificiel, de désespéré. Le déracinement est ici une plaie béante, un traumatisme intense que le film matérialise sous la forme de fantômes qui transmettent, très littéralement, leur douleur aux humains. Ce double niveau de lecture est le propre des bons films du genre, et His House, par sa linéarité résolue, la maîtrise de ses effets et la cohérence de son propos, en fait indéniablement partie.