The Body : le corps du délit

par | 11 novembre 2020 | Rétroaction

The Body : le corps du délit

Le réalisateur espagnol Oriol Paulo (L’Accusé, Mirage) a brillé dès ses débuts avec The Body, thriller tortueux placé sous le patronage de Clouzot et Hitchcock.

Avec un background tel que L’Orphelinat et Les yeux de Julia, il était normal d’attendre de la part des producteurs de chez Rodar y Rodar, Joaquin Padro et Mar Targarona, un nouveau suspense fantastique, surtout avec un titre tel qu’El Cuerpo, ou The Body dans la langue de Shakespeare. Même équipe, même actrice principale (magnétique Belén Rueda), et même scénariste que Les yeux de Julia, Oriol Paulo, promu alors réalisateur pour l’occasion. Et pourtant, rien à voir : The Body est un pur suspense à l’ancienne, un film à twist que son auteur place de son propre aveu sous la double influence de Hitchcock et Clouzot.

De diabolique soupçons

The Body : le corps du délit

Le scénario rassemble, l’espace d’une nuit, des personnages qui sont autant d’archétypes familiers. Il y a le veuf, Alex (le beau gosse Hugo Silva, star de la télé espagnole), dont la femme Mayka (Rueda) est morte dans l’après-midi et que ses proches sont venus réconforter. Il y a l’inspecteur, Jaime (Jose Coronado, spécialiste du polar vu dans Box 507, El lobo et GAL, ici affublé d’une coupe de cheveux ridicule), venu enquêter sur la mystérieuse disparition du corps de Mayka dans la morgue de l’institut médico-légal de Barcelone. Enfin, il y a la maîtresse d’Alex, Carla (Aura Garrido), avec laquelle ce dernier a en fait planifié l’assassinat de sa femme, puissante chef d’entreprise, plus âgée que lui et jalouse jusqu’à l’obsession. La fortune d’une épouse étant un bon mobile, Alex devient suspect aux yeux de Jaime. La nuit tombe, l’orage gronde, policiers et suspects sont coincés dans l’institut alors qu’un mystérieux maître-chanteur resserre son étau sur un Alex aux abois…

« Dans The Body, les éclairs claquent en même temps que les révélations successives, les femmes sont toutes fatales et les hommes cachent de lourds secrets. »

On le voit, c’est autour de quatre protagonistes dont l’une est (véritablement ?) décédée qu’est construit l’essentiel de l’intrigue de The Body, qui prend le parti de les rassembler autour d’une unité de lieu, de temps et d’action, sans pour autant, loin de là, assimiler le tout à du théâtre filmé. Oriol Paulo, qui s’est beaucoup inspiré de Soupçons et des Diaboliques pour creuser son idée de départ (« et si un corps disparaissait sans explication de la morgue, avant même son autopsie ? »), s’est fait la main sur trois courts-métrages avant de passer le baptême du long, et le film témoigne de ses envies de cinéma, aussi basiques que réjouissantes. Dans The Body, les éclairs claquent en même temps que les révélations successives, le passé douteux de chaque personnage se révèle en flash-backs, la musique de Sergio Mouro (Lobos de Arga) émule le Bernard Herrmann des grands jours, les femmes sont toutes fatales et les hommes cachent de lourds secrets. L’intrigue évolue à la lisière du fantastique, Mayka étant un personnage à la fois fantomatique – pour les personnages – et omniprésent pour le spectateur, qui est amené à la découvrir dans toute sa dimension possessive et cassante.

Le mystère de la morgue noire

The Body : le corps du délit

C’est d’ailleurs le point fort du scénario de The Body, équilibré avec précision par Oriol Paulo : cette manière d’ajouter plusieurs couches de personnalité à chaque protagoniste, d’éviter le manichéisme en justifiant les actes de chacun avec un vrai souci de logique et de cohérence. Bien sûr, cette construction d’enquête à rebours, qui évoque beaucoup Garde à vue et Usual Suspects, conduit droit vers un twist final, où le mystère de départ est expliqué en long et en large, et invite forcément à la remise en question de tel ou tel élément. L’auteur a-t-il resserré tous les boulons ? Personne n’est parfait, et quelques facilités (une scène écœurante qui s’avère superflue aux toilettes, un déménagement express improbable, un gardien de nuit au comportement surprenant ainsi qu’une brigade de policiers pas bien efficace) sautent assez vite aux yeux. Certains personnages secondaires, tels le détective privé, apparaissent également bien vite comme de purs rouages d’écriture destinés à brouiller les pistes artificiellement.

Le film réussit pourtant l’essentiel dans un tel exercice : le mystère est gardé intact jusqu’à la dernière minute, qui retourne tout ce qui a précédé, y compris le titre auquel il donne un nouveau sens, comme une crêpe. Malgré l’apport non négligeable d’Oscar Faura, sans doute l’un des meilleur directeurs de la photo espagnols, il manque au réalisateur le sens visuel de ses compatriotes Bayona (L’orphelinat) et Morales (Les yeux de Julia), qui lui permettrait de transcender la puissance initiale de son script. Oriol Paulo, qui a un budget ad hoc et un casting emmené par une star nationale, pêche parfois par excès de générosité, le film ayant la main particulièrement lourde sur les effets « angoissants ». En l’état, son talent de scénariste lui permet pourtant de signer un thriller diabolique, l’un des plus ludiques qu’on ait vu en 2012, qui a pourtant attendu 2017 avant de sortir anonymement en VOD, puis 2020 pour devenir disponible là aussi sans fracas sur Shadowz. Le réalisateur, reparti cette année-là de Paris avec le grand prix du Pifff a entre-temps confirmé les espoirs placés en lui avec un thriller hitchockien brillant, L’accusé / The Invisible Guest, avant de signer le plus surnaturel Mirage avec la star de La Casa de Papel Alvaro Morte, les deux films étant sortis rapidement, eux, sur Netflix.