L’avantage, au moment d’aborder les qualités du troisième opus d’une saga aussi organiquement découpée que celle du Hobbit, c’est que l’on peut y appliquer les mêmes termes que pour l’épisode précédent. L’an dernier, La désolation de Smaug nous avait convaincus avec éclat de la force du travail d’Hercule engagé par Peter Jackson pour transformer le maigre roman de Tolkien en immense saga cinématographique. Mieux rythmé que Le Voyage inattendu, riche en personnages secondaires dont l’excentricité ou la noblesse renvoyaient illico aux meilleurs moments du Seigneur des anneaux, dévoilant un adversaire d’anthologie en la personne du fameux Smaug, ce deuxième chapitre (encore amélioré par les séquences inédites de la version longue) laissait présager une conclusion dantesque.
Jackson ayant décidé en cours de route de renommer son film La bataille des cinq armées, l’objectif du film est dès lors apparu clairement : il s’agissait de clore l’aventure de Bilbo et des nains sur une bataille historique, aussi épique que pouvait l’être celle de Minas Tirith. Dans le livre, le récit de cette guerre occupe seulement quelques pages, au prix d’une malicieuse ellipse. Pas de cela chez Peter Jackson : toute la saga du Hobbit converge vers cet affrontement final, entre toutes les forces en présence rencontrées jusque-là. Et sur ce plan, le réalisateur ne se défile pas : du spectacle, il y en a dans La bataille des cinq armées.
Un démarrage en trombe
Cependant, il apparaît après coup que le morceau de bravoure le plus convaincant du film n’est pas la bataille en titre qui occupe les 45 dernières minutes du métrage, mais son ouverture, qui reprend précisément là où La désolation de Smaug s’arrêtait : le dragon, toujours personnifié par la voix de Benedict Cumberbatch, s’en va détruire la cité lacustre de Lake Town par le feu, alors qu’un seul homme peut encore se dresser contre lui, Bard (Luke Evans, un peu figé dans le rôle). Plongée dans une noirceur étouffante, seulement traversée par les torrents de flamme de la bête qui ravage la ville, cette scène égale en intensité furieuse l’ouverture des Deux Tours avec son Balrog en chute libre. Jackson sait déceler et mettre en valeur, en bon fan de Harryhausen et de créatures mythiques, la majesté bestiale de son inarrêtable dragon, qui disparaît, comme prévu, d’une flèche bien placée.
[quote_center] »Plus répétitive que jouissive, la bataille fait un peu pschitt, le cinéaste souhaitant apparemment recentrer son intérêt sur ses héros plutôt que sur la mêlée. »[/quote_center]
Dès lors, l’essentiel de l’histoire du film est consacré à la préparation des différentes forces en présence, au fil d’un scénario éclaté en quatre, cinq puis six récits parallèles. La bataille des cinq armées finit par ressembler à un long, très long teasing des événements à venir, entre les nains, retranchés dans leur montagne nouvellement regagnée et bientôt soumis à la folie naissante de leur leader Thorin (Richard Armitage), les elfes constamment courroucés, les humains réduits à l’état de mendiants, Gandalf qui galope et les armées d’orcs et de trolls qui avancent à travers plaines. Dans cette montée en puissance qui finit par ressembler à du remplissage, Bilbo (Martin Freeman, pourtant très bon) apparaît paradoxalement de plus en plus effacé, presque étranger à des événements auquel il ne prend que très partiellement part. Comme on pouvait le craindre, Jackson a choisi d’utiliser l’Arkenstone, la pierre sacrée des nains, comme un nouvel Anneau autour duquel s’excitent tous les protagonistes. Un temps éloignée de notre esprit, l’impression de redite avec la précédente trilogie refait bientôt surface, et ne tourne que rarement à l’avantage du Hobbit.
Vous avez dit répétition ?
Ainsi, le fameux duel à Dol Guldur entre magiciens et Nazguls a quelque chose d’un peu ridicule, la faute peut-être au jeu très « concerné » de Cate Blanchett et à l’absence de véritables enjeux dramatiques (peut-on vraiment croire qu’il arrivera quelque chose à Gandalf ?). La population de Lake Town réfugiée dans une nouvelle ville évoque forcément la situation du gouffre de Helm, tout comme la soif de l’or qui contamine Thorin rappelle le traitement visuel de la folie appliqué il y a bientôt douze ans au personnage de Gollum. Pour la première fois, certains passages de la saga sonnent faux, sentent le bâclage ou l’hésitation. Comme chaque année avant la sortie d’un Hobbit, Jackson a travaillé jusqu’au bout pour parfaire le montage et les effets spéciaux de son film, une prouesse régulièrement saluée par ses fans et la critique.
Sauf qu’ici, le montage vu en salles équivaut presque à une version provisoire, allégée, de ce qu’il souhaitait sans doute vraiment montrer. Car que voyons-nous de la fameuse bataille promise par le titre ? Des mouvements de troupes, d’innombrables plans aériens sans impact, des corps qui s’entrechoquent, quelques percées d’anthologie admettons-le, comme la sortie tonitruante de la tribu des nains explosant leur propre mur avec une cloche en or. Plus répétitive que jouissive, la bataille fait un peu pschitt, le cinéaste souhaitant apparemment recentrer son intérêt sur ses héros plutôt que sur la mêlée. Quelque part, le résultat lui donne raison : le double duel final où intervient notamment un Legolas (Orlando Bloom) tellement mis en avant qu’il phagocyte les enjeux réels de l’histoire est un sacré moment de baston, virevoltant, sanglant et toujours porté par cet humour visuel qui fait tout le sel des films de Jackson.
Bastons et frustrations
Ces bons moments sauvent quelque peu le bilan d’un film férocement en demi-teinte, qui semble s’éteindre dès lors que son meilleur méchant (Smaug) quitte la scène. Le film enchaîne les scènes redondantes et/ou ridicules, avec des personnages cette fois clairement mal employés (le bouffon Alfrid est aussi omniprésent qu’extrêmement énervant, la romance entre Tauriel et son petit nain atteint des sommets de niaiserie involontaire, ne justifiant pas a posteriori l’importance narrative qui lui a été donnée), les dialogues font dans le manichéisme le moins enthousiasmant qui soit, et les incohérences et manques du montage font rager. Impossible de ne pas remarquer que Beorn ou les fameuses chauves-souris apparaissent montre en main moins de trente secondes, que la bataille est pratiquement réglée hors champ, que la communauté des nains a, à quelques exceptions près, autant de personnalité que des figurants dans un Matrix, ou que Gandalf n’a pas grand-chose à faire pour un magicien tout-puissant. Et tout cela, c’est sans parler des Aigles, mais au bout de la troisième apparition, l’affaire est entendue : ils sont lourds.
Tout spectacle hors-norme qu’il soit, La bataille des cinq armées conclut finalement la trilogie du Hobbit sur une note moyenne. La vraie réussite de l’adaptation de Jackson et ses deux co-scénaristes Fran Walsh et Philippa Boyens restera la création du fantastique Smaug, certains écueils propres au roman n’ayant pu, en parallèle, être vraiment résolus (notamment l’absence dans le troisième acte d’un véritable antagoniste réunissant tous les héros dans un même but). Comme chaque année, 2015 verra la sortie d’une version longue, avec 30 minutes supplémentaires annoncées. Gageons qu’elle permettra de corriger certains défauts de continuité du film. Mais sauf miracle, La bataille des cinq armées ne restera pas comme le couronnement cinématographique d’une saga contestée, ce qu’il aurait pu, et du, être.
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The Hobbit : la bataille des cinq armées (The Battle of the Five Armies)
De Peter Jackson
2014 / Nouvelle-Zélande – USA / 144 minutes
Avec Martin Freeman, Richard Armitage, Ian McKellen
Sortie le 10 décembre 2014
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