Instalife : Instagram m’a tuer !
Une influenceuse angélique devient l’objet de l’affection d’une « followeuse » obsessionnelle dans Instalife, pertinente satire d’un monde obsédé par le paraître.
Qu’on l’admette ou non, et quel que soit notre âge, les réseaux sociaux ont pris une place prépondérante dans notre quotidien. La preuve, rappeler leur importance est devenue une banalité, une porte ouverte que l’on enfonce avec tristesse lorsqu’il devient évident que le temps passé devant le triumvirat Facebook-Instagram-Twitter est en fait astronomique. Le paradoxe du réseau social, c’est qu’il ne l’est jamais vraiment, social : le rapprochement avec des personnes dont nous partageons les goûts, quitte à se les approprier pour « faire partie du club », est une illusion, un raccourci de la pensée. À la fin de la journée, derrière les likes et les smileys, il ne reste souvent que nous et notre écran brillant dans le noir.
L’héroïne d’Instalife, ou Ingrid Goes West en VO, est confrontée à cette impitoyable vérité : mentalement fragile, en deuil de sa mère, Ingrid Thorburn (une méconnaissable Aubrey Plaza) cherche un refuge dans les vies partagées des instagrameurs. Les fameux « influenceurs », qui accomplissent sur leurs profils sponsorisés par les grandes marques la prophétie consumériste de David Fincher dans Fight Club : vivre un bonheur par procuration pour survivre au vide de l’existence. Ingrid flashe au détour d’un magazine sur Taylor Sloane (Elizabeth Olsen, aussi inquiète que rayonnante), l’une de ces Californiennes « tendance » qui met en scène sur Instagram une existence parfaite à Venice Beach, avec ses conseils mode, ses restos tendance, ses citations hashtagée, son mari beau gosse et ses coups de cœur so amazing. Avec l’argent de son héritage, Ingrid décide de déménager sur place pour s’immiscer dans la vie de Taylor et devenir son amie. Histoire de profiter, elle aussi, de cette vie de bohème et de donner enfin un sens à sa vie. Mais quoiqu’elle fasse, Ingrid n’est pas de ce monde. Et tôt ou tard, le vernis va finir par craquer…
JF partagerait vie de rêve
Comme le souligne logiquement Nicky (Billy Magnussen, Game Night), le frère complètement tapé de Taylor semblant tout droit sorti d’un spin-off des Lois de l’attraction, la trame d’Instalife a de quoi faire penser immédiatement à une variation contemporaine de JF Partagerait appartement. Matt Spicer, pour son premier long-métrage, a imaginé une héroïne avec laquelle il est possible d’entrer en empathie (on peut partager sa peine, son manque de repères), mais dont on peut difficilement pardonner le caractère obsessionnel et creepy. Agrippée à son smartphone comme à une bouée de sauvetage, Ingrid copie consciencieusement tous les tics et passions de Taylor, de ses livres préférés à sa coupe de cheveux. Lorsqu’elle doit, pour apparaître « cool », mettre en scène sa relation avec Dan (O’Shea Jackson Jr), son logeur à la bonhomie désarmante – et salutaire -, elle lui demande même de taire sa passion infantile pour Batman, et parler plutôt livres et peinture. Tout ce qui doit être fait pour rester compatible avec le quotidien branché et hédoniste de Taylor.
Mais, et c’est là où Instalife se révèle particulièrement pertinent et intelligent, le bonheur manufacturé que vend Taylor sur Internet est lui aussi désespérant vu sous le bon angle. Son propre mari, un artiste raté, la trouve de plus en plus superficielle, ses soirées consistent à des beuveries VIP dans d’obscures galeries à la mode… Dans la réalité, les Instagrameuses à la mode comme Taylor ont dévoilé depuis longtemps l’envers de ce miroir aux alouettes. À l’obsession d’intégration maladive d’Ingrid répond en vérité celle, de reconnaissance, de toutes les Taylor Sloane que le monde moderne continue de produire. La démonstration de Matt Spicer se fond dans un ensemble typique du cinéma indé américain, mélange de comédie, de satire et de thriller à la frères Coen lors d’une tentative de kidnapping loupée, enrobant le tout avec une pirouette un peu trop convenue et idéaliste. Un emballage familier pour un film malgré tout féroce et salvateur : Instalife enfonce peut-être lui aussi quelques portes ouvertes, mais le constat qu’il en tire n’en est pas moins douloureusement réel.