Up Upon the Stars : cinéphilie en famille (Étrange Festival)

par | 14 septembre 2018

L’histoire d’un père et de son fils pour qui le cinéma compte plus que tout, est au cœur de l’émouvant Up Upon the Stars, ode à l’imaginaire et à l’amour du 7e art venue d’Espagne.

Puisque son importance dans le paysage du cinéma espagnol n’est plus à prouver, Alex de la Iglesia a enfilé depuis quelques années une deuxième casquette qui lui va également à ravir : celle de producteur. Avec son épouse et actrice Carolina Bang, ils ont créé la société Pokeepsie Films, qui chapeaute depuis 2014 de jeunes talents ibériques, dans des productions inclassables qui ont trouvé le chemin de nos écrans… directement en vidéo. Après Musaranas (sorti en DVD), Les héros du mal, Skins (tous deux disponibles sur Netflix), et l’inédit Errementari, l’Étrange Festival a permis de découvrir quelques jours après sa sortie en Espagne Up Upon the Stars, ou En las estrellas en version originale, deuxième long-métrage du comédien et cartooniste Zoe Berriatúa, après sa chronique mal élevée de l’adolescence Les héros du mal. Le metteur en scène effectue avec ce nouveau projet un virage à 180°, délaissant le réalisme social pour plonger à pieds joints dans le conte fantaisiste grand public, à mi-chemin entre Terry Gilliam et l’inusable Cinema Paradiso.

Le héros d’En las estrellas, Victor (Luis Callejo, Oro, La colère d’un homme patient), traverse ce qu’on pourrait appeler poliment une mauvaise passe. Alcoolique, sans emploi, il a pour seul horizon l’éducation de son fils Ingmar (Jorge Andreu), dont le prénom n’est pas le fruit du hasard. Victor est en effet un fondu de cinéma, un ancien artisan d’effets spéciaux à succès qui a perdu goût au travail après la disparition tragique de la mère d’Ingmar (Macarena Gomez). Entre deux tournages sans lendemain – et sans matériel adéquat – en compagnie de son fiston, à qui il a transmis le virus du 7e art, et projections dans le vieux cinéma de quartier de son seul ami, Victor ressasse regret et chagrin en regardant le fond de ses bouteilles. Jusqu’à ce qu’un jour, il décide d’imaginer avec Ingmar le scénario d’un film de fantaisie, qui raconterait l’histoire d’un écrivain isolé sur la Lune, partant à travers le temps et l’espace à la recherche de sa bien-aimée…

La vie est plus belle dans les étoiles

Avec ses effets spéciaux naïfs — et néanmoins impressionnants dans leur fausse simplicité — nous faisant traverser la grande Histoire du cinéma (Méliès, King Kong, Chaplin, mais aussi Inoshiro Honda, Coppola ou le cinéma d’animation des pays de l’Est sont tous convoqués), son récit à mi-chemin entre drame familial et fable célébrant le pouvoir de l’imaginaire, Up Upon the Stars a le don de se mettre immédiatement les cinéphiles dans la poche. Cette histoire, sans doute très personnelle pour Berriatúa (lui-même le fils d’un cinéaste réputé en Espagne, Luciano Berriatúa), n’est pas follement originale en soi : il est évident dès les premières minutes, après un générique propulsé par un incroyable zoom arrière vers la Lune, que le film utilisera l’arme de la métaphore pour confronter Victor, et dans une moindre mesure Ingmar (qui était bébé au moment où sa mère les a quittés), à un impossible deuil.

Quoi de plus normal pour un créateur d’illusions, nous dit Up Upon the Stars, que de se réfugier dans les affabulations qu’il raconte à son fils, tel Roberto Benigni dans La Vie est belle, pour contourner la triste réalité de leur sort ? Quoi de plus rassurant que de retourner, sans cesse, vers un passé plus clément et glorieux, en conservant ses vieilles VHS, souvenirs de tournages en compagnie « des Américains », plutôt que de contempler un avenir dénué d’amour ? Alors, Victor devient le metteur en scène, lors de séquences d’une folle beauté expressionniste, d’une fiction désuète en forme de cadavre exquis. Une escapade poétique loin du cynisme de notre époque, pleine de robots, de temples interdits, de frigos interstellaires et de falaises menaçantes. La malice de ce charismatique charlatan, incarné à la perfection par Callejo, son alchimie avec le jeune et vif Ingmar (Andreu a le genre de bouille attachante dont la caméra raffole), font qu’on est emportés sans résistance par le souffle de cette aventure finalement toute simple. Un voyage très émouvant qui trouvera son point culminant dans un décor de rêve, synthèse de tout le discours de Berriatúa, et vestige d’un temps perdu qui donnera malgré tout un nouvel espoir à cette famille d’amoureux de la pellicule. Si vous partagez leur passion, et par extension leur visible nostalgie, nul doute qu’Up Upon the Stars saura vous mettre des étoiles dans les yeux. Entre deux larmes, bien sûr.