À 48 ans, David Mackenzie, Britannique pur souche, refuse toujours de se laisser étiquetter. Sa carrière a décollé en 2002 avec Young Adam, avec Ewan McGregor : un polar sec, cru et redoutablement noir. Avec My Name Is Hallam Foe avec Jamie Bell, le réalisateur livre en 2007 un drame bouleversant sur une famille déchirée au cœur de l’Écosse. Il reçoit l’Hitchcock d’Or à Dinard et l’Ours d’argent à Berlin. En 2009, il part à Hollywood filmer Ashton Kutcher en Toy Boy, film drôle, subversif et sexy qui ne lui laisse pas un excellent souvenir. De retour en Angleterre, il brode Perfect Sense, qui décrit la propagation d’une épidémie mortelle dans le monde, privant chacun de ses cinq sens. Avec You Instead (Rock’n’Love, dans l’hexagone), David Mackenzie crée la surprise en tournant en trois jours, durant un festival de musique écossais, une comédie romantique musicale.
Le poing levé
En 2014, David Mackenzie change une nouvelle fois radicalement de registre en filmant de très près la descente aux enfers d’un jeune homme, incarné par Jack O’ Connell envoyé une prison pour criminels à haut risque. Au même endroit se trouve incarcéré son père, qu’il n’a jamais vraiment connu. Le film s’intitule Les poings contre les murs (Starred Up en Angleterre). Ce drame sentimental particulièrement intense et très dur nous rappelle que la violence n’est pas une fatalité.
[quote_center] »Lorsque l’action exige que nous recommencions une scène violente, je me sens mal à l’aise. Mais dans le cas du film, la violence est nécessaire, une sorte de langage parallèle. »[/quote_center]
Nous avons rencontré David Mackenzie, en promotion en France avec son acteur, il y a quelques mois. Précis et bienveillant, le réalisateur est revenu sur son film coup de poing.
Qu’est-ce qui vous a séduit dans le scénario des Poings contre les murs ?
Je l’ai lu et je l’ai apprécié. Il a été écrit par un auteur, John Asser, qui connaissait très bien le milieu carcéral pour y avoir travaillé. Il ressemble beaucoup au personnage joué par Rupert Friend. Il animait des sessions de thérapie pour les prisonniers particulièrement violents et il a livré son expérience dans le livre, puis le scénario. La première version avait un véritable sens du détail et une authenticité qui m’a semblé très intéressante. L’histoire est dure, mais il y a un sentiment fort d’humanité et de compassion. L’environnement décrit est insensibilisé, mais l’histoire reste émotionnelle et le contraste entre la dureté et la douceur m’a attiré en tant que réalisateur. Je n’apprécie pas particulièrement la violence, les choses dures, mais le fait de pouvoir mettre en scène un lieu aussi rude, avec cette sensibilité-là, m’a attiré.
Vous êtes-vous inspirés de films ou de séries qui se déroulent en prison ?
Pas beaucoup. Bien entendu, je suis familier du genre, j’ai vu quelques films de prison. Mais je voulais surtout faire mon propre film. J’ai trouvé un lieu de tournage, qui est une vraie prison à Belfast. Elle était fermée, transformée en musée, il n’y avait pas de prisonniers, mais elle possède une vraie atmosphère. Cette prison avait la même conception que celle du reste du pays avec ses quatre ailes et son centre de promenade. Les lieux, la réalité des portes, des murs, des styles, des matériaux sont un personnage à part entière. Cette atmosphère réelle, nous pouvions le sentir, était présente à chaque instant. Chaque jour du tournage, nous avons exploré le matériel à notre disposition, sans idée préconçue. Pour que le film gagne en authenticité, nous nous sommes plutôt tournés vers le scénario en vivant le moment présent. Le tournage a duré quatre semaines et j’ai trouvé très excitant de travailler tous ensemble dans la même direction.
Pourquoi avez-vous choisi Jack O’ Connell pour incarner votre personnage principal ?
C’était le meilleur homme pour le boulot ! Le processus de casting a été court, je n’ai pas vu beaucoup de monde. Lorsque Jack est venu, il a fait une remarquable lecture. En le découvrant, j’ai compris qu’il avait le courage, mais pas la crainte, de faire ce qui était nécessaire pour faire naître ce personnage. Il s’est servi de son expérience, de ses anciens rôles, et sa motivation inspirait vraiment confiance.
Est-il vrai que Jack O’ Connell ne lisait jamais le scénario jusqu’au bout avant de jouer une scène ? Cette technique lui a-t-elle permis de gagner en crédibilité ?
Pour le film, il a bien sûr lu le script, ne serait-ce que pour se convaincre de jouer dans le film. Mais nous n’avions pas de story board précis lors du tournage. Donc, il n’avait pas besoin de tout lire avant de jouer. Je ne connais pas exactement l’étendue de sa lecture. Il s’est concentré sur l’intensité des scènes.
À part Jack O’ Connell, comment s’est déroulé le reste du casting ?
J’ai une excellence directrice de casting, Shaheen Baig, qui m’a proposé des acteurs. Je n’ai pas pu les rencontrer en personne avant le tournage. Nous avons juste conversé via Skype. Mais je les ai vraiment appréciés, ils se sont tous donnés à 100 % dans le personnage que je leur avais créé. La sélection s’est faite petit à petit.
Vous avez déclaré avoir expérimenté ce que vous avez appelé « La méthode Mackenzie », la fusion entre la répétition, le tournage et le montage. En quoi consiste cette méthode ?
Je suis simplement ennuyé par la manière de faire des films. Parce que cette méthode transforme le temps en dictateur. Vous devez constamment tenir le planning dans les temps qui vous sont impartis, ce qui peut s’avérer contre-productif. J’ai essayé de recréer un processus créatif plus intéressant. Il n’y a pas eu de lecture. Nous avons répété directement en costume. Les séquences ont été tournées dans l’ordre de l’histoire. Deux monteurs montaient le film après le tournage de chaque scène et nous nous basions exclusivement sur le scénario. Nous avons surtout travaillé sur l’immédiateté, pour ne jamais remettre quelque chose à demain. L’équipe a vraiment joué le jeu. Tout s’est bien connecté, nous avons gagné du temps. Je recommencerai, même si mes prochains films ne s’accorderont peut-être pas aussi bien avec cette méthode. Mais j’adore les nouveaux challenges.
Est-il difficile pour vous de filmer des scènes violentes ?
Émotionnellement, c’est difficile. Lorsque l’action exige que nous recommencions une scène violente, je me sens mal à l’aise. Mais dans le cas du film, la violence est nécessaire, c’est une sorte de langage parallèle. Il était très important pour moi que la violence ne paraisse pas chorégraphiée, ou glorifiée de quelque manière que ce soit. Il fallait qu’elle appartienne au film et qu’elle ne puisse pas sembler interchangeable. Même si cela est différent, parce qu’on ne filme pas de la même manière une scène de violence, la spontanéité a moins sa place. Le défi consister à rendre les coups authentiques, avec un entraînement nécessaire pour ne blesser personne. Pour réaliser ce défi, j’étais entourée d’une équipe de coordinateurs de cascade très cool. Nous avons travaillé ensemble afin que les scènes fonctionnent, je leur ai un peu laissé la main. Nous avons briefé les acteurs, et les scènes restaient très courtes.
Pensez-vous que la violence dans les prisons anglaises est plus intense que dans d’autres pays, comme en France, par exemple ?
Je ne m’y connais pas assez pour me prononcer. Dans le film, les acteurs improvisent et blaguent en comparant les prisons britanniques avec les prisons américaines. L’idée qu’un prisonnier s’imagine dans une prison dans un autre pays, fait plutôt peur, car elles ont une énorme population. Mais l’environnement reste le même, je ne sais pas pour la France. La violence exprimée dans le film reflète la réalité, une fiction plausible dans certaines prisons britanniques. Des anciens prisonniers ont vu le film et le trouvent plutôt proche de la réalité.
Votre scénariste, Jonathan Asser, a passé douze ans à travailler dans une prison avant d’écrire son histoire. Pensez-vous que le film ait un enjeu politique, qu’il laisse entendre que la violence engendre la violence ?
Je pense qu’il ne serait pas d’accord avec cette question. En tant que thérapeute, il essaie d’arrêter la violence avant qu’elle n’engendre de nouvelles pulsions. Avant les sessions de discussion qu’il animait, les gars avaient de grosses tendances à cogner pour un rien. Mais dans le cadre des sessions de discussions, ils ne se battaient pas, ils évacuaient, au contraire, leurs pulsions par la parole. Le problème dirait Jonathan, s’il était là, est politique. Le système carcéral et les relations entre les gardiens et les prisonniers se perpétuent, avec leurs failles sans jamais se remettre en question. Les prisonniers deviennent de plus en plus violents, alors que cela n’est pas nécessaire. Tout dépend, comme le raconte le film, des relations entre les personnes derrière les barreaux. Le film défend la possibilité d’aider une personne laissée pour compte à s’en sortir.
Le thème de la transmission, de l’héritage entre un père et son fils est-il important à vos yeux ?
Pas vraiment, mais je trouve le thème intéressant. Je m’étonne d’ailleurs que cette histoire n’ait pas été racontée plus tôt, parce qu’il doit y avoir des tonnes de pères et de fils dans les prisons du monde entier. La criminalité dans la même famille existe. Je pense que la partie de l’histoire entre le père et le fils est très forte, mais nous n’avons pas trop développé cet aspect. Le fait qu’ils aient tous les deux les mêmes problèmes et qu’ils s’avèrent brutaux est une connexion entre eux d’une certaine manière. Mais la force de l’histoire reste qu’ils ne peuvent pas devenir pères et fils, puisqu’ils ne l’ont jamais été.
Ne pensez-vous pas que ne trouvant pas de bon père en prison, Eric cherche l’amour paternel ailleurs durant le film ?
Il trouve des pères et des frères en prison. À un moment dans le film, vous pouvez vous dire « son propre père est la mauvaise personne pour le boulot ». D’autres personnages, comme le psy, sont meilleurs. Dans un sens, son père le sent aussi, il le dit, comme s’il cherchait la rédemption. Mais le lien entre eux éclate à la fin de l’histoire, comme quelque chose d’indéniable entre un père et son fils.
On dirait que vous adorez changer de registre à chaque fois que vous choisissez un nouveau projet. Vous êtes l’auteur de Perfect Sense, qui ressemble à un fim de science-fiction. You Instead était une comédie musicale, et maintenant vous faites un film de prison. Avez-vous envie de vous attaquer à d’autres genres ?
J’ai toujours voulu échapper aux genres, les combattre. C’est la première fois que je fais un film purement de genre. J’ai d’ailleurs un autre film de sciences-fiction et un western en préparation. C’est un processus libérateur, mais ce n’est pas mon type de choix. Tout dépend du sujet, je choisirai le bon genre pour de bonnes raisons.
Quels sont vos prochains projets ?
Je travaille sur mon premier pilote de série télé pour une chaîne américaine (AMC). Il s’agit d’un show d’anticipation. L’histoire raconte le retour à la nature d’une communauté de personnes après un désastre écologique des centaines d’années dans le futur.
Votre précédent film You Instead a-t-il eu un impact sur votre manière de réaliser des films ?
Oui, très bon. Nous avons passé quelques jours intenses et durs dans les conditions du direct. Il m’a préparé à faire ce film, dans la mesure où j’étais capable de travailler sur le scénario de manière intuitive et de rester libre. Parfois, j’ai du abandonner le script, saisir des opportunités quand elles se présentaient. J’en suis très fier, je me suis bien amusé. J’aime me mettre en danger et devoir me jeter à l’eau. Il faut des ingrédients, une bonne recette et tout mettre à la marmite jusqu’à ce que tout concorde pour obtenir quelque chose de beau. Je pense qu’il s’agit de la meilleure manière de faire un film. Le film a été un échec commercial, mais je pense qu’en Angleterre il a été mal compris en raison de la rapidité à laquelle il a été fait. Je le referai si l’occasion se présente. Je continuerai surtout à faire des films de manière originale. En tant que cinéaste, je veux apprendre à faire toujours mieux et à expérimenter d’autres choses.
Avez-vous vu beaucoup de films français, comme Un Prophète de Michel Audiard qui se déroule aussi en prison ?
Bien sur. Je pense que ce film est génial. Mais mes films français préférés sont plus vieux. Je suis un grand fan de Maurice Pialat. J’ai emprunté certains de ces ingrédients, l’énergie, le réalisme de ces films dans certaines scènes des Poings contre les Murs. J’aime Robert Bresson : Un condamné à mort s’est échappé reste parmi mes références. J’apprécie Jean-Pierre Melville, Louis Malle, pour la force de leurs personnages. Jean Vigo aussi, Jean-Luc Godard. Les réalisateurs français occupent une grande part de mon livre de références !
Auriez-vous envie de diriger un acteur français ?
C’est amusant que vous disiez cela, car je travaille actuellement sur une adaptation d’un roman de Georges Simenon, La neige était sale, qui se déroule dans une Belgique occupée par les Allemands. Le film devrait vraiment être en français. Malgré tout, pour le moment, il est prévu en anglais. Nous tournons à Liège, en Belgique et un peu à Rome. Mais je n’écarte pas cette possibilité, quand j’aurai amélioré mon mauvais français actuel.
Travailleriez-vous de nouveau avec Jack O’Connell ?
J’en ai bien sûr envie. C’est un grand acteur, il a un jeu superbe, il apprend vite, il réfléchit en permanence. Il va réaliser une grande carrière.
Lire la critique Des poings contre les murs.
Merci à Michel Burstein.