D’abord, un constat : malgré tout le respect que l’on garde pour l’équipe organisatrice du Paris International Fantastic Film Festival, la migration de la manifestation parisienne du Gaumont Opéra au Grand Rex n’est pas si réjouissante que cela. Confiné pour l’essentiel des séances à une salle souterraine oppressante et disposant d’un écran trop bas pour pouvoir y lire les sous-titres temporaires, le festival a moins gagné en prestige qu’en confidentialité à notre goût. Cela n’a pas empêché le Pifff d’annoncer de très bons chiffres de fréquentation, vu la période actuellement traversée par les Parisiens.

Mais qu’importe : les souvenirs du festival sont avant tout liés aux films eux-mêmes. Nous ne pourrons malheureusement nous étendre sur les deux longs-métrages primés par le public et la chaîne partenaire Ciné+ Frissons, Don’t Grow Up et Evolution. Deux productions françaises, soit dit en passant, que nous n’avons pas eu la chance de voir, ce qui n’était pas le cas du très brutal Green Room, déjà chroniqué dans ces pages, ou de l’excellent Garçon et la bête, dont la critique ne saurait tarder. Nul besoin également de s’attarder sur les classiques sélectionnés par le festival comme Darkman, jalon incontournable du film de super-héros signé Sam Raimi, ou le monument The Thing, présenté en version remasterisée.

Fantastique en vase clos

Chroniques du PIFFF 2015 : de l’étrange et des plaisirs primaires

Ce que nous avons surtout découvert durant cette édition du Pifff, c’est une sélection louchant dans les grandes largeurs sur la sensibilité expérimentale et bizarre de L’Étrange Festival. Cela n’aura échappé à aucun spectateur puisque les œuvres les plus clivantes étaient projetées le soir. Difficile par exemple de déceler la marque du film de genre dans Blind Sun, ou le britannique The Survivalist. L’argument post-apocalyptique de ce… survival se limite à une glaçante animation faisant office de générique, qui nous explique ce qui a amené l’humanité à s’auto-détruire. Ne reste que quelques individus épars, dont notre héros en titre (Martin McCann, vu dans ’71). Un type débrouillard, encore plus hirsute qu’un vagabond dans The Walking Dead (auquel il est permis de penser), dont le difficile quotidien en forêt est bouleversé le jour où deux femmes, l’une âgée, l’autre très jeune, arrivent devant sa cabane. Avec peu de dialogues, et une attention extrême portée au montage et à ses cadres, qui commentent et font avancer l’intrigue, le réalisateur Stephen Fingleton orchestre ainsi un ménage à trois aussi glauque (le film est très charnel, et pas romantiquement charnel) que tendu. The Survivalist n’est pas sans qualités, construisant patiemment un trio de personnages marquants, mais pêche peut-être par excès de retenue, et accuse tout de même quelques longueurs, surtout dans sa première partie.

Chroniques du PIFFF 2015 : de l’étrange et des plaisirs primairesLes mêmes remarques peuvent être appliquées à l’embrumé Bridgend, là aussi un premier long se déroulant en Grande-Bretagne, mais battant pavillon danois. Le film s’inspire d’un fascinant, mais déprimant fait divers, une vague de suicides ayant touché les ados et jeunes adultes du comté de Bridgend, dans le pays de Galles, entre 2007 et 2012. Le mystère demeure autour de cette histoire vraie, et c’est donc ce que choisit d’illustrer le réalisateur Jeppe Ronde : l’impossibilité de saisir les raisons qui pousse les jeunes du coin à chatter d’un air détaché sur la disparition de leurs amis, à se baigner tout nus dans un lac et plus généralement à tout casser dans le village où ils baladent leur amertume. Les adultes, qui devraient représenter l’autorité (religieuse, policière), sont dépassés et baladent eux-mêmes leurs propres traumas. Même l’héroïne, campée par la jeune Hannah Murray (Game of Thrones), se retrouve séduite par cette poésie morbide et cet espoir d’un « monde meilleur ». Bridgend est indéniablement un film d’atmosphère, à la photo splendide, mais à la énième scène de beuverie, d’humiliation entre amis ou de fugue adolescente au bord des rivières, il devient impossible de ne pas le trouver redondant, abscons, et disons-le tout net, un peu chiant.

Défouloirs tous azimuts

Chroniques du PIFFF 2015 : de l’étrange et des plaisirs primaires

En marge de cette sélection où figuraient étrangement beaucoup de films sur l’enfance (les deux films primés abordent le thème frontalement, le proto-slasher Some kind of hate et l’inédit Der nachtmar prennent pour héroïnes des post-ados), le Pifff proposait des séances hors-compétition plus roboratives, plus conformes oserons-nous dire à l’esprit d’un festival dédié au genre. Il y avait bien sûr en ouverture un slasher original nommé Scream Girl (nous y reviendrons en détails très prochainement), mais aussi une séance « interdite » plutôt jouissive, où était présenté le très Z, mais très drôle Deathgasm, film de Jason Lei Howden. Une pochade gore venue de ce pays que tout le monde adore, la Nouvelle-Zélande, et qui payait donc aussi son tribut au Braindead de Peter Jackson en orchestrant avec inventivité l’histoire d’un groupe de black/doom metal confronté à l’arrivée d’un démon transformant tout le patelin en zombies. La finalité d’un tel pitch importe peu dans ce genre de délire sanguinolent, et Deathgasm se met quoiqu’il arrive son public cible dans la poche dès le départ, puisque le métal, ses codes, son mode de vie, est placé au premier plan du scénario. Après tout, quel fan du genre n’aime pas aussi les films d’horreur ? Les clins d’œil pour initiés fusent, les gags visuels sont bien vus, le film prenant même dans son premier acte – le plus réussi – des allures de Scott Pilgrim sans budget. Ça ne vole pas toujours très haut, l’interprétation est parfois hésitante, mais pour animer une soirée pizza-bière entre connaisseurs, voilà un candidat idéal.

Chroniques du PIFFF 2015 : de l’étrange et des plaisirs primairesTout aussi jeté, mais bien plus sérieux, Southbound est la dernière anthologie en date d’une partie des auteurs de V/H/S et ses suites, qui a conservé jusqu’au bout son parfum de mystère (hormis Toronto, le film n’a pratiquement été montré nulle part). Présenté comme un film à sensations louchant sur La quatrième dimension, cet ensemble de sketches déroule cinq histoires ayant pour même décor les alentours d’une autoroute désertique du sud des USA. Une fois n’est pas coutume, chacune de ces mésaventures est organiquement reliée à la suivante, jusqu’à un rebondissement final emballant temporellement le tout comme un joli paquet cadeau. Difficile du coup de déceler la patte de chaque réalisateur, mais peu importe : Southbound conserve de A à Z une même approche, brutale, sale et profondément cynique, du fantastique, abordé sous un angle sensationnaliste et rentre-dedans. Le plus frustrant réside dans l’absence systématique de chute ou de morale, qui caractérisait la série de Rod Serling. Seuls comptent l’effet-choc, les scènes éprouvantes versant dans l’horreur clinique (le flippant segment « The Accident », en particulier, possède tous les ingrédients pour vous faire tourner de l’œil), et l’invraisemblable misogynie ambiante : les femmes dans Southbound sont soit des victimes à qui rien n’est épargné, soit des démons en puissance harcelant les mâles. Charmant.

Le coin des cinéphiles

Chroniques du PIFFF 2015 : de l’étrange et des plaisirs primaires

Pour les plus cinéphiles des spectateurs du PIFFF, la séance « culte » de L’Enfant Miroir (alias The Reflecting skin en VO), en présence de son réalisateur Philip Ridley, était l’événement du festival à ne pas manquer. Peu connu en France, l’artiste touche-à-tout, également auteur de Darkly Noon et de Heartless, est souvent présenté comme le Terrence Malick britannique, du fait de sa rareté derrière la caméra. Il s’est montré toutefois plus présent que son homologue en introduisant la projection de son premier long, sorti en 1990 et demeuré longtemps abîmé, avant d’être récemment restauré. Sur grand écran, les couleurs chaudes et l’atmosphère chargée en symboles et en lyrisme de ce conte pour adultes prennent désormais toute leur ampleur. Tout comme un autre film britannique de cette époque, Paperhouse, L’enfant miroir s’attaque au côté sombre de l’enfance en explorant le domaine du rêve. Seulement, l’histoire de Seth Dove, enfant solitaire livré à lui-même dans la campagne américaine des années 50, ne se déroule pas dans un monde parallèle, mais une réalité aux perspectives tronquées par son imaginaire, donc à l’allure onirique. Seth prend sa voisine, Dolphin Blue, pour une femme vampire, et veut à tout prix sauver son grand frère (un Viggo Mortensen tout jeunot), soldat traumatisé par la guerre, de ses « griffes ». « Parfois des choses horribles arrivent très naturellement » proclame l’affiche de L’enfant miroir. Il n’y a pas de meilleure manière de résumer ce film hypnotique, cryptique et languissant, aussi sombre que ses images sont écrasées par la lumière et le jaune des champs de blé.

Chroniques du PIFFF 2015 : de l’étrange et des plaisirs primaires

Terminons ce tour d’horizon avec quelques mots sur un documentaire (présenté en avant-première mondiale, excusez du peu) conçu par et pour des passionnés, Le Complexe de Frankenstein. Dans la lignée de leur documentaire sur Ray Harryhausen, les journalistes Gilles Penso et Alexandre Poncet sont partis aux quatre coins des USA pour rencontrer les plus grands créateurs d’effets spéciaux. Avec, en filigrane, l’ambition de raconter l’évolution de tout un panel de métiers et d’artisans phares, qui ont fait naître les monstres, robots, créatures et univers ayant marqué notre enfance. Qu’il s’agisse du dessinateur Alan Howe, du spécialiste de la stop-motion Phil Tippett ou de réalisateurs comme Guillermo del Toro, tous les intervenants (et il y en a un paquet !) ont en commun cette passion irraisonnée pour l’imaginaire, et l’outil cinéma comme moyen de matérialiser leurs idées les plus folles. Le nœud émotionnel du Complexe de Frankenstein réside dans le constat que les effets visuels numériques – dont le photoréalisme met paradoxalement tout le monde d’accord, ou presque – ont fait disparaître d’un coup toute une tradition de maquillages, de trucages et d’animatroniques. Jurassic Park est-il le meilleur de la saga parce qu’il possède une tête de T-Rex réelle, Les dents de la mer serait-il le même film sans son requin en caoutchouc ? La réponse est dans la question ! Le documentaire titille ainsi une fibre nostalgique en s’étendant longuement sur l’âge d’or des années 80, celui des Rick Baker, Rob Bottin et Stan Winston, véritables stars de l’ombre à cette époque. C’est ce qui le rendra si attachant pour les connaisseurs ayant potassé leurs numéros de L’écran fantastique et Mad Movies (dont les deux réalisateurs sont issus), qui n’y apprendront pas grand-chose. Les profanes, eux, noteront surtout le statisme assez lénifiant des interviews (pas ou peu de visites d’ateliers, par exemple, en dehors d’images d’archives), contrebalancé par un montage visiblement très réfléchi.

[toggle_content title= »Bonus » class= »toggle box box_#ff8a00″]La bande annonce de Scream Girl :

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