Lorsque Steven Spielberg adapte les best-sellers signés Michael Crichton, Jurassic Park et Le Monde Perdu au début des années 90, il sublime la matière littéraire pour créer un monument de la science-fiction grand public. Après l’échec de Hook, il parvient à insuffler dans son nouveau projet une myriade d’idées de génie : de l’aventure façon Indiana Jones, des enfants auxquels les jeunes spectateurs peuvent s’identifier, une réflexion entamée par Crichton sur la responsabilité morale qui doit accompagner le progrès technologique, à la fois universelle et d’actualité, des effets spéciaux novateurs faisant le lien entre deux générations (l’animatronique et l’image de synthèse), et surtout un sens de l’émerveillement qui reste sa marque de fabrique. Du choix des acteurs (du regretté Richard « J’ai dépensé sans compter » Attenborough à Laura « Je vais te donner envie de devenir paléontologue » Dern), à l’humour apporté par le personnage de Jeff Goldblum, en passant par les scènes plus gore (toutes marquantes), chaque élément de ce film a contribué à le rendre culte.
Philosophie approximative
En 2015, Colin Trevorrow, sur la base d’un unique premier film remarqué Safety not guaranteed, se charge, après des années d’annonces infructueuses, du quatrième volet de la saga qui doit effacer le souvenir du très moyen Jurassic Park III (et dans une moindre mesure du Monde Perdu). Chris Pratt (Les Gardiens de la Galaxie) et Bryce « Jessica Chastain est ma sœur cachée » Dallas Howard (La couleur des sentiments) remplacent peu ou prou Sam Neill et Laura Dern, rajeunissant d’un coup la moyenne d’âge du casting. Le postulat de départ ressemble étrangement à celui de l’œuvre initiale : une multinationale décide d’agrandir le Jurassic Park, sur l’île d’Isla Nubla et de l’ouvrir au grand public, rebaptisé pour l’occasion Jurassic World. Face à la demande de sensationnalisme de la clientèle, des scientifiques mettent au point l’Indominus Rex, un monstre génétique, pas tout à fait aussi télégénique que son ancêtre. Son intelligence supérieure lui permet de s’échapper de son enclos et de dévorer ses gardiens. Entre temps, deux enfants se rendent sur l’île pour rendre visite à leur tante, Claire, qui est en charge de la gestion du parc. Mais comme Tatie est trop occupée avec des investisseurs, ils décident d’explorer seuls le parc et tombent nez à nez avec la féroce créature.
[quote_center] »L’équivalent scénaristique d’un film catastrophe, bénéficiant d’un budget titanesque et d’années de développement. »[/quote_center]
Au terme de la projection de Jurassic World, un bilan cruel s’impose : le script n’a aucun sens. Les films des années 90 exposaient clairement les dangers de la manipulation génétique. Le film de Colin Trevorrow part du principe que ces dangers ont été oubliés, ces manipulations étant désormais pratiquées à des fins commerciales. En revanche, il estime qu’il y a des limites à ne pas franchir. Donc, en résumé, ressusciter une espèce disparue pour en faire des bêtes de foire devient acceptable. Par contre, combiner des espèces entre elles est une grave erreur, et la nature reprend toujours ses droits ! Même l’intelligence supérieure de l’Indominus Rex aurait du mal à justifier ce qui passe par la tête du réalisateur…
ADN manquant
Au jeu des sept différences avec Jurassic Park, que Trevorrow pompe sans rougir, l’introduction ne se passe pas dans le parc, comme dans le film d’origine, mais au domicile des deux enfants et lance une sous-intrigue surexploitée autour de la famille de Claire. Lorsqu’ils arrivent enfin sur place, LA scène tant attendue se produit : les portes du Jurassic World s’ouvrent enfin… avec un effet numérique complètement raté. Dans un hommage méprisant à Richard Attenborough et à la précédente trilogie, Trevorrow présente d’ailleurs les ruines de l’ancien parc, avec un évident problème d’échelle.
Que dire du personnage de Chris Pratt, Owen, sorte de soigneur-biker-bourreau des cœurs, qui a transformé les raptors en caniches de compagnie et dont la cool-attitude devient on ne peut plus lassante ? À ses côtés, ô surprise, un frenchy de service en la personne d’Omar Sy. L’acteur comptabilise approximativement deux répliques : « Merde ! » et « Putain ! », pas de quoi, excuse my french, fouetter un raptor, donc. Dommage que son potentiel comique ne soit pas exploité pour relever le niveau humoristique totalement plat du film.
Un peu d’âme, s’il-vous-plaît
Comme le souligne parfaitement Joss Whedon, la relation entre Owen et Claire frise le sexisme. La jeune femme, totalement incompétente lorsqu’il s’agit de gérer son parc menacé et une équipe principalement composée d’hommes s’en remet totalement aux bras musclés d’Owen pour sauver la situation. Elle attend sagement dans un camion avec les enfants, pendant que monsieur fait tout le boulot. Nous sommes loin de Laura Dern qui mettait littéralement les mains dans la bouse pour sauver une malheureuse femelle tricératops malade !
Comme il faut s’y attendre, les effets numériques de 2015 sont à la hauteur, voire impressionnants, sans garder le côté tangible des créations grandeur nature de Spielberg. Une multitude de nouvelles espèces émergent dans le film, avec un particulier un monstre marin gigantesque s’affichant comme la surprise du nouveau parc. Le spectateur prend aussi du plaisir à parcourir les grandes plaines naturelles en compagnie d’animaux éteints qui y évoluent paisiblement. Au fil des images, l’envergure de ce territoire quasiment préservé se dessine et la volonté de recréer une multitude d’attractions étonnantes, comme la balade en canoë au milieu des dinosaures, se ressent. Mais la 3D, plaquée de manière artificielle, obscurcit plutôt qu’elle n’enrichit le visionnage, au point qu’il est parfois difficile de distinguer les principaux dinosaures et de les différencier.
Steven Spielberg a offert à la génération 90 un film épique, intelligent, audacieux et novateur. Colin Trevorrow délivre aujourd’hui aux enfants des années 2010, l’équivalent scénaristique d’un film catastrophe bénéficiant d’un budget titanesque et d’années de développement. En dépit de son potentiel de divertissement indéniable, le film offense l’enfant d’hier, et l’héritage littéraire et cinématographique du Jurassic Park originel. Mais l’affront le plus terrifiant réside dans la reprise édulcorée de l’exceptionnelle bande-son de John Williams par Michael Giacchino. Le compositeur de certains Pixar et de la parodie Le Monde Presque Perdu a visiblement manqué d’inspiration et cela s’entend, bruyamment.
[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Jurassic World
De Colin Trevorrow
2015 / USA / 125 minutes
Avec Chris Pratt, Bryce Dallas Howard, Nick Robinson
Sortie le 10 juin 2015
[/styled_box]
Crédit photos : © Universal Pictures
Jurassic Word, la version jurassic du logiciel de microsoft?