La femme à la fenêtre : fenêtre sur four
Avec son casting de prestige et sa réalisation ciselée, La femme à la fenêtre fait illusion, avant qu’un script dépassé montre ses limites.
David Fincher savait-il qu’il lancerait une sorte de mode en 2014 avec la sortie – couronnée de succès à l’international – de son excellent Gone Girl ? À la suite du film, tous les studios ont commencé à acheter à prix d’or les droits des best-sellers littéraires ayant une femme forte, mais menacée pour héroïne. Y aurait-il eu une Fille du train, un Avant d’aller dormir sans Gone Girl ? Y aurait-il eu, surtout, cette Femme à la fenêtre, produite par le même studio, alignant les noms ronflants à son générique et basé sur le bouquin d’un New-Yorkais nommé Dan Mallory (qui s’est révélé être un sacré mythomane, à tel point que sa vie devrait elle aussi faire l’objet d’un film joué par Jake Gyllenhaal) ? Nul doute que non : il est évident que le nouveau film de Joe Wright (Reviens-moi, Hanna, Les heures sombres), même s’il sort sur Netflix après une longue période de conflits, de reshoots et de bidouillages de script (le « réparateur » Tony Gilroy est massivement intervenu sur le montage), vise le même public nostalgique des thrillers du samedi soir. Et c’est exactement c’est qu’est le film : un suspense pesamment hitchcockien qui s’imagine profond et mystérieux alors qu’il n’a guère plus de nouveautés à proposer que les polars de studio des années 90 comme Obsession Fatale ou Peur Primale.
Le témoin était presque parfait
La familiarité, c’est ce qui revient le plus à l’esprit à la découverte du film, qui prend pour héroïne une femme agoraphobe, Anna Fox (Amy Adams, démaquillée comme jamais et qui en fait quelques caisses dans le registre hébété-alcoolisé), qui vit recluse avec son chat et un locataire fuyant dans une luxueuse maison à étage d’un Harlem gentrifié. Incapable de mettre le nez dehors, Anna se contente de boire devant sa télé diffusant des vieux films (surtout des Hitchcock, donc) tout en se gavant de médocs pour soigner ses visibles traumatismes. Et donc, elle observe ses voisins de rue par la fenêtre, notamment les Russell, qui viennent de s’installer en face. Un par un, elle va faire connaissance avec les membres de cette famille bizarre, jusqu’à ce que la mère, Jane (Jane Russell ! Cinéphilie !) soit poignardée devant ses yeux dans la maison. Comme dans Fenêtre sur cour, ou plutôt même comme dans le film-hommage de De Palma Sœurs de Sang. C’est parti pour une longue partie de « qui l’a tué » mâtinée de « vous devez me croire », Anna étant le genre de témoin au bord de la crise de nerfs que la police n’est jamais pressée de croire…
« Bâti autour de trois twists fatigués dont l’un (et peut-être même un deuxième) est sans doute le plus prévisible de l’histoire du thriller hollywoodien. »
Avec son réalisateur de prestige connu pour imprimer sa patte esthétique sur chacun de ses projets (peut-être trop pour le studio) entouré de collaborateurs prestigieux (Bruno Delbonnel qui s’amuse comme un fou à la photographie, Danny Elfman à la musique, le dramaturge et acteur Tracy Letts à l’adaptation), sa star en pleine performance soutenue par un casting de premier ordre (Gary Oldman, Jennifer Jason Leigh, Julianne Moore, qui ne font presque, paradoxalement, que de la figuration dans le montage final), La femme à la fenêtre a tout du projet glamour et sérieux bâti sur les fondations branlantes. Certes, la mise en scène de Wright en fait beaucoup pour créer une atmosphère de menace, de vertige et de solitude dans la lignée du cinéma psycho-policier du maître Alfred, transformant le logis d’Anna en petit théâtre multicolore ou chaque porte, chaque escalier ou entrebâillement semble enfermer l’héroïne dans une psychose paranoïaque sans retour. Delbonnel inonde les cadres de lumières rouges, bleues, tamisées, à tel point que le giallo ne semble plus très loin. La scène du meurtre de Jane, comme celle où le passé d’Anna s’invite, littéralement, dans son salon, sont de vrais moments cinématographiques ludiques et inspirés, qui transcendent leur contexte basique.
Car basique, La femme à la fenêtre l’est très certainement, bien plus que son modèle littéraire. Bâti autour de trois twists fatigués dont l’un (et peut-être même un deuxième) est sans doute le plus prévisible de l’histoire du thriller hollywoodien, le film vacille pour de bon après une première demi-heure maligne et enlevée où Wright s’amuse avec les entrées de personnages dans le cadre et son décor aux possibilités évidentes pour la suite (alors comment ça, cette verrière n’a pas été nettoyée depuis longtemps ?). Les facilités de scénario permettant de faire d’Anna une suspecte plus qu’un témoin-clé s’accumulent jusqu’à l’idiotie, les acteurs s’adonnent à un cabotinage presque stressant et le film vire sans prévenir sur la fin au Grand-Guignol sanguinolent, réactivant là aussi les excès typiques des années 90. La femme à la fenêtre c’est un peu ça : une série A de prestige enrobant un squelette de série B surannée, dépassée dès la date de livraison.