La séance de rattrapage : I see you
I see you fait oublier son côté thriller domestique familier en s’appuyant sur un script rigoureux rempli de twists malins. Une excellente surprise.
Qui a besoin de remakes sans âme et de reboots sans fin, quand des petites perles originales comme ce I see you sorti un peu de nulle part, parviennent, même brièvement jusqu’à nos écrans ? Si vous n’avez pas pu voir le troisième long-métrage d’Adam Randall (iBoy) en salles, on ne vous en voudra pas : le film a profité de la réouverture des cinémas, post-confinement, pour se glisser dans quelques multiplexes, sans bruit et sans promotion. Une distribution en catimini pas forcément à la hauteur de ce pur thriller du samedi soir qui brode sur des motifs familiers pour mieux nous surprendre, à la manière d’un Shyamalan de la grande époque. Oui, autant vous prévenir : I see you propose et assume une cascade de twists qui donnent un double sens à chaque scène, sans jamais briser la cohérence dramatique de l’ensemble.
I see you s’ouvre sur la disparition, dans une petite ville américaine pleine de résidences cossues, d’un jeune gamin à vélo en pleine forêt. Un deuxième va bientôt suivre, et la police est sur les dents, car l’affaire ranime les fantômes d’un autre dossier sordide, classé il y a des années. L’inspecteur Greg Harper (Jon Tenney, Major Crimes) a donc du pain sur la planche, mais il a autre chose sur la conscience : sa famille se désintègre après qu’il ait appris que sa femme Jackie (Helen Hunt), ce qui provoque la colère noire de leur fils Connor (Judah Lewis). Pour ne rien arranger, leur splendide demeure, perchée sur une falaise face à la mer, est le théâtre d’évènements étranges: des objets changent de place ou disparaissent, et chacun d’entre eux se sent presque observé, quand il n’entend pas des voix. Enquête policière, drame familial et mystère à domicile s’entremêlent, jusqu’à la première (grosse) révélation…
La maison de tous les mystères
Avec sa réalisation multipliant les plans aériens menaçants, les images-choc (le vol plané de la scène d’ouverture) et les cadrages omniscients, laissant planer le doute d’un hors-champ surnaturel à chaque énigme qui s’accumule dans la maison des Harper, I see you fait planer le doute pendant une longue bobine sur la direction qu’il va prendre. Il y a quelque chose de délicieux à être aussi désarmé que les protagonistes du film, inconscients du drame qui se joue sous leurs yeux – en tout cas tel qu’on le découvrira plus tard –, et à se laisser porter par une intrigue semant les indices inexplicables. Des points d’interrogation auxquels le scénario de l’acteur Devon Graye se chargera de répondre, aussi méthodiquement que l’on remplit une grille de bingo.
« I see you se termine avec un dernier twist, presque prévisible, mais surtout d’une logique imparable. »
En révéler plus sur les virages et zigzags qui font dérailler la narration de I see you et amènent à reconsidérer chaque scène de deux façons différentes, serait criminel. Tout juste peut-on dire que le film de Randall exploite d’une façon originale le phénomène du phrogging (ne le googlez pas avant, bande d’inconscients), marchant ce faisant dans les pas d’un film espagnol fameux et pas moins malaisant. Ce que I see you perd alors en dimension irrationnelle, il le gagne en tension. Malgré le côté mécanique de la deuxième partie du film, qui risque toujours de verser dans la redondance (on ne compte plus les travellings avant opératiques sur la maison des Harper, filmée sous tous les angles, dans tous les recoins), le plaisir de recoller les pièces du puzzle en découvrant les motivations de nouveaux personnages permet de passer outre cette sensation. Helen Hunt, dont le visage lifté n’a de cesse de nous distraire, y passe au second plan, laissant l’habitué des seconds rôles Jon Tenney et le jeune Owen Teague (ça, chapitre 2, Mary et bientôt la série Le Fléau) prendre le devant de la scène, avec savoir-faire. I see you se termine avec un dernier twist, presque prévisible, mais surtout d’une logique imparable. Un dernier morceau de mystère résolu qui parachève à la manière d’un Usual Suspects un film dont les contours modestes, imprévisibles, se révèlent être sa meilleure arme.