L’ange du Mossad : l’ennemi intime
Secrets d’État et espionnage seventies sont au programme de l’Ange du Mossad, biopic compétent, mais limité d’un homme de l’ombre nommé Ashraf Marwan.
En matière de films d’espionnage, les histoires vraies sont une matière première souvent bien plus passionnantes et incroyables que n’importe quelle fiction. Dans le cas d’Ashraf Marwan, même la parution de deux livres-choc en 2016 n’a pas permis de résoudre entièrement le mystère planant autour de cette figure-clé dans les relations orageuses entre Israël et l’Égypte. L’un des deux ouvrages a fourni la base de L’ange du Mossad, biopic consacré à ce millionnaire égyptien mort en 2007, gendre du général Nasser, et surtout espion au service du Mossad, ayant livré des informations-clé sur les manœuvres militaires de son pays au début des années 70. Proche collaborateur d’El-Sadate, le successeur de Nasser, Marwan modifia à lui seul le cours de l’Histoire en prévenant les services secrets ennemis de l’imminence d’une attaque généralisée sur les positions israéliennes.
Le film débute avec un flash-forward montrant Marwan (la star montante Marwan Kenzari, vu dans Le crime de l’Orient-Express et qui sera prochainement Jafar dans le remake live d’Aladdin) en fâcheuse posture dans un aéroport italien, sur le point de contribuer à un attentat au lance-roquette. Que fait ce dandy élégant caché derrière ses lunettes de soleil ici ? L’ange du Mossad va s’attacher à décrire, avec des ellipses qui finissent par laisser de nombreuses questions sans réponse, le parcours de cet homme dont on ne sait s’il est opportuniste ou incroyablement patriote.
L’homme aux mille secrets
Rejeté par son beau-père président pour ses opinions progressistes, Marwan, étudiant londonien et père de famille oisif, bénéficie d’un retour en grâce après la mort de Nasser et intègre les plus hautes fonctions du gouvernement. Mais un coup de fil passé un jour au Mossad sur un coup de tête revient le hanter : l’agence, représentée par l’officier Danny Ben Aroya (un Toby Kebbell moustachu), le fait chanter pour lui soutirer des informations sur la stratégie des Égyptiens, impatients de pouvoir reconquérir le Sinaï envahi en quelques jours par Israël. Réticent, mais semble-t-il attiré par l’appât du gain, Marwan finit par accepter le deal et mène une double vie intenable, mettant en péril sa famille alors que les enjeux deviennent de plus en plus conséquents…
Même s’il relate de manière compétente l’histoire géopolitique complexe qui lie depuis la Seconde Guerre mondiale ces deux pays du Moyen-Orient, L’ange du Mossad aurait gagné en intérêt s’il avait consacré aux personnages entourant Marwan plus que des saynètes maigrement explicatives, que seuls les experts saisiront dans tous leurs aspects. C’est le problème de tous les biopics : le film d’Ariel Vromen (Criminal) tente de compresser 20 ans de moments d’Histoire cruciaux en un temps record, et réduit en cours de route un jeu d’échecs aux terrifiantes conséquences à une série de punchlines avec un dénouement artificiel. Nos seuls points d’ancrage sont un anti-héros incroyablement ambigu (difficile de comprendre les motivations réelles de Marwan) et un agent fictionnel du Mossad lambda. Entre eux deux flotte un parfum de Guerre froide, qui fournit au film une ambiance de tension délétère. Mais Vromen peine à rendre compte des intérêts vitaux des infos de l’impassible Marwan, qui œuvrait a priori à diminuer le nombre de pertes causées par la guerre.
L’ange du Mossad préfère jouer la carte du scénario « compte à rebours » plutôt que d’embrasser pleinement le mystère généralisé que représente la vie d’Ashraf Marwan, dont la carrière semble s’arrêter en 1976. Ce que le film oublie de dire, c’est que celui qu’on soupçonne encore d’avoir été un agent double fera ensuite fortune en Angleterre et mourra en tombant (après avoir été poussé ?) d’un balcon en 2007. Tous les protagonistes de cette période connaîtront un sort aussi étrange et similaire. L’affaire est encore non résolue… Jusque dans sa disparition, Marwan aura été un homme de secrets, et L’ange du Mossad fait malheureusement peu pour nous les révéler.