Last Action Hero : nos premiers émois méta
Retour en 1993, quand Arnold était le roi de Hollywood et que McTiernan déconstruisait l’usine à rêves avec Last Action Hero !
L’une des images promotionnelles de Last Action Hero est restée en mémoire au moment de la sortie du film, ce mois d’août 1993 : celle montrant Arnold Schwarzenegger rigolard, recouvert de graisse noire pendant le tournage, qui pointe du doigt les grands dinosaures en latex du décor derrière lui. Était-ce un geste moqueur, bon enfant, pour désigner son grand concurrent cet été-là, un certain Jurassic Park ? L’ironie du destin sera au moins aussi grande que celle dont le film de John McTiernan fait preuve. Vendu comme l’événement de l’année, au point que les producteurs avaient apposé le nom du film sur une fusée de la Nasa, le blockbuster rassemblant pour la seconde fois après Predator la star de Terminator 2, le réalisateur de Piège de Cristal et le scénariste de L’Arme Fatale ne pouvait être autre chose qu’un triomphe total. Mais la suite est connue : les T-Rex de l’oncle Stevie écrasèrent sans ménagement Last Action Hero, et ce grand spectacle pop et coloré fit pschitt au box-office. Schwarzenegger ne détenait pas, ou plus, la formule magique pour affoler les compteurs, lui qui était alors l’acteur le mieux payé au monde.
C’est à la fois injuste, au vu des nombreuses qualités du film, et logique. Last Action Hero ne pouvait pas plaire au plus grand nombre. Zack Penn, auteur du script originel, avait repiqué à La rose pourpre du Caire de Woody Allen l’idée de faire entrer un spectateur transi d’amour pour un héros de fiction dans l’écran. Ici, c’est un ado new-yorkais solitaire, Danny Manigan (Austin O’Brien, un enfant star devenu depuis… photographe de mariage et assureur !), qui passe ses journées et ses nuits au cinéma à regarder les films de son idole Arnold Schwarzenegger, celui-ci incarnant dans une série de films over the top le flic californien Jack Slater. Un ticket magique confié à son ami projectionniste par Houdini propulse Danny dans le monde de Jack Slater IV, au cœur de l’action, au grand dam de Slater, confronté à un garnement qui tente de le convaincre que son monde n’est que le fruit de l’imagination des scénaristes. Le processus de déconstruction du gros spectacle hollywoodien qui fait alors fureur (des films d’action aux héros virils, pleins de destruction et ponctués de punchlines infantiles), peut commencer !
Le blockbuster dont vous êtes le héros
Passé par de nombreuses réécritures, dont la plus fameuse reste celle de Shane Black, scénariste star ayant lui-même contribué à établir ces codes de buddy movie comique et violent que le film moque méthodiquement, Last Action Hero fut de l’avis de tous les participants une production cauchemardesque, due notamment au fait que chacun hésitait sur le ton à donner au long-métrage. Quelle dose de comédie fallait-il insérer, à quel point le grand spectacle promis devait-il être ridiculisé ? Le budget ne fit que monter en flèche, et avec lui la pression autour du réalisateur John McTiernan. Nous sentons pourtant, en redécouvrant le résultat des années plus tard, que le cinéaste ne s’est pas laissé dévorer par cette ambiance trouble et ces hésitations commerciales. Comme souvent dans sa carrière, la mise en scène de Last Action Hero est une merveille de précision et d’inventivité, et ce dès son premier plan scotchant littéralement l’image de son film dans le film à notre écran. Qui était mieux placé pour mettre gentiment en pièces ce genre qu’un de ses plus influents représentants, après tout ?
« Un film fou et sacrément rythmé dont tous les aspects n’ont pas nécessairement bien passé l’épreuve du temps. »
Les aventures de Slater et Danny sont orchestrées comme une vraie comédie d’action cartoonesque, bardée de scènes spectaculaires, mais surréalistes quand elles ne sont pas idiotes (ah, Léo le Prout…), mais où le principal ressort comique réside dans le décalage entre ce monde fictionnel où tout est exagéré et les réactions blasées et explicatives du cinéphage en herbe qu’est Danny. Les caméos pleuvent (Sharon Stone, Van Damme, Robert « T2 » Patrick, Tina Turner, Jim Belushi, Maria Schriver dans son propre rôle de madame Schwarzie…) tout comme les gags référentiels. La propre carrière d’Arnold est citée, évidemment, mais de 48 heures à Roger Rabbit en passant par Le septième sceau, Amadeus, Un flic et demi, E.T., L’Arme Fatale (via un gag musical savoureux, Michael Kamen étant le compositeur des deux films), Le flic de Beverly Hills et même Shakespeare grâce à cette séquence géniale où Danny rêve un Hamlet (le « first action hero » comme le dit sa prof) joué par Arnold, le scénario brasse large sans craindre l’indigestion.
Post-moderne avant l’heure
Un concept déjà défriché par Mel Brooks, qui fera école quelques années plus tard avec la saga Scream, et prédit l’avènement du post-modernisme et du réflexe méta, dans l’ensemble du paysage hollywoodien de divertissement. Aujourd’hui, les super-héros, gros bras et espions qui peuplent nos écrans n’ont plus besoin d’un petit garçon à leurs côtés : ils commentent eux-mêmes de manière sarcastique les clichés de leur propre aventure. De ce point de vue, Last Action Hero, qui brise dans tous les sens du terme le quatrième mur, est indéniablement avant-gardiste – c’est peut-être pour ça qu’il ne fit pas le poids face au spectacle très premier degré proposé par Jurassic Park.
La richesse de ce film fou et sacrément rythmé, dont tous les aspects n’ont pas nécessairement bien passé l’épreuve du temps (outre les transparences datées, le fait de voir un gamin de 12 ans brandir des armes à feu fait bien moins rire trente ans plus tard), est aussi à chercher dans son dernier acte, quand Slater quitte son propre monde et fait l’expérience douloureuse du monde réel. Celui où les coups font mal et les héros peuvent mourir. Soudain, le cadre devient trop étroit pour la silhouette colossale d’Arnold, McTiernan remplace les horizons ensoleillés et les palmiers de L.A. par la verticalité pluvieuse et nocturne de New York. Schématique, mais efficace, le film fait le procès des récupérateurs de tout poil qui accusent Hollywood d’influencer la jeunesse et de les inciter à la violence. Last Action Hero fait preuve de hauteur de vue en montrant Danny comme un gamin intelligent, expérimentant dès le départ un dur retour à la réalité lors d’un cambriolage. Le scénario finit par le mettre logiquement sur un pied d’égalité avec la star du show, en inversant leur rôle d’acolyte en péril.
Ce rôle de Slater, Schwarzenegger l’incarne avec un entrain maniaque, mais aussi une forme de fragilité qu’il n’abordera plus dans le reste de sa carrière. Échaudé par cet échec commercial, il ne dominera plus aussi nettement le box-office, à part avec True Lies, un film qui ironiquement reprend à son compte bon nombre de passages obligés mis en boîte par Last Action Hero. McTiernan et Black accompagneront eux les derniers soubresauts du buddy movie avec Die Hard 3 ou Au revoir, à jamais, autant de preuves que les action heroes n’avaient pas, ne pouvaient pas avoir dit leur dernier mot.