Late Night With The Devil : silence, moteur… possession !
L’horreur s’invite dans un talk show des années 70 dans Late Night With The Devil, film-concept aussi ludique qu’il est prévisible.
N’importe quel amateur de film de genre vous le dira : le found footage est un sous-genre rincé depuis des années. Il survit certes à coups de nouveaux épisodes de l’increvable franchise V/H/S, ou de micro-productions qui atterrissent de temps à autre sur Shudder ou Shadowz en France. Plus d’ennui que d’effroi, et surtout un principe qui ne surprend plus, 25 ans tout de même après Le projet Blair Witch. Avec Late Night With The Devil, les frères Cairnes (également réalisateurs de 100 bloody acres) apportent toutefois leur pierre, précieuse, à cet héritage souvent peu glorieux. Plutôt que de nous faire croire en l’existence de films amateurs tournés sur le vif, les deux Australiens s’amusent à imaginer une émission télévisée fictive des années 70 qui tourne mal : un talk show de fin de soirée (les Late Night comme on les appelle aux USA) qui le soir de l’émission d’Halloween prend un tour inattendu pour son présentateur vedette et le public dans la salle. Un concept fort, enrichi de multiples trouvailles et expérimentations, dont l’importance finit toutefois par prendre le pas sur la pertinence de son scénario.
Un concept diaboliquement fun
Débutant sur un long montage d’introduction imitant les documentaires sensationnalistes de cette période (avec en voix off Michael Ironside, s’il vous plaît !), Late Night With The Devil nous emmène dans la tête de Jack Delroy (l’acteur-caméléon David Dastmalchian, habitué des plateaux de Denis Villeneuve et Christopher Nolan), présentateur télé qui connaît le succès dans les années 70 avec son émission Night Owls. Le décès brutal de sa femme, célèbre actrice, le pousse néanmoins hors des caméras pour un temps. Il finit par revenir en plateau, mais sans succès : les chiffres d’audience sont en chute libre malgré un ton plus provocateur. Jack s’apprête à vivre une soirée décisive le jour d’Halloween 1977 : le succès de cette émission déterminera son avenir. Pour gagner des points d’audimat (et battre son bien réel concurrent Johnny Carson), il ne recule devant rien et invite un médium, un magicien hypnotiseur et une jeune fille soi-disant possédée par un démon, Lilly (Ingrid Torelli, une petite révélation). Tout est prêt pour un show dont personne ne va ressortir indemne…
« Inspirés par les talk shows nocturnes, où l’aspect imprévisible du direct associé au côté racoleur des invités donnait un parfum d’interdit. »
Inspirés par les talk shows nocturnes de leur jeunesse, où l’aspect imprévisible du direct associé au côté racoleur des invités donnait un parfum d’interdit aux émissions, les frères Cairnes ont peaufiné avec peu de moyens (2 millions de dollars) et une attention extrême aux détails ce Late Night With The Devil méchamment ludique. Reproduction de live télévisé au format 4/3, tics de réalisation (zooms intempestifs, plans de coupe calculés) et fausses réclames, bugs de diffusion, costumes et décors furieusement seventies, rythme séquencé par les coupures pub : rien ne manque, et la promesse de voir l’émission progresser petit à petit vers le fantastique et l’horreur, à la manière de L’exorciste, plusieurs fois cité, maintient intacte la curiosité. Certains peuvent trouver le principe de fausse émission limitatif, presque gadget. Les cinéastes brisent d’ailleurs eux-mêmes leurs règles, en insérant pendant chaque coupure pub des « images de coulisses » en noir et blanc évidemment bien plus artificielles et montées que si elles étaient prises sur le vif. De même, le dernier acte hallucinatoire fait basculer le film dans une dimension bien plus stylisée. Mais c’est un mal nécessaire pour amener le récit à sa conclusion logique.
Le diable est dans l’audimat
C’est peut-être là où Late Night With The Devil atteint ses limites : bien que furieusement original dans sa mise en forme, le film propose une histoire linéaire et peu de réelles surprises dans ses rebondissements. Plus que le sort réservé à ses personnages (spoiler alert : ça finit mal pour à peu près tout le monde), c’est la manière dont la mise en scène assujettie au concept va capturer ces dérapages progressifs qui va nous intriguer. Le personnage faustien de Jack, notamment, est aussi passionnant qu’attendu – l’ambitieux jeune premier un peu pathétique, qui ne reculerait devant rien pour être le n°1. Il est incarné à la perfection par Dastmalchian, qui porte sur son visage les doutes et l’assurance fragile d’un homme sur le fil du rasoir, entre adrénaline et stress morbide. Plus que les chaises volantes, les yeux révulsés ou les séquences d’hypnose qui parsèment cette émission dantesque, c’est au final la vision satirique et encore actuelle de ce show-business jouant littéralement avec des forces obscures pour servir leur unique Dieu – l’Audimat -, qui fait planer une drôle d’angoisse sur cette séduisante curiosité filmique.