Black Sea : les lingots de la discorde

par | 26 octobre 2015 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques, VOD/SVOD

Black Sea : les lingots de la discorde

Le capitaine Jude Law part à la chasse à l’or nazi dans l’inédit Black Sea, film de sous-marin aussi inhabituel qu’impitoyable. Prêts pour la plongée ?

S’il est un genre que l’on a l’impression d’avoir déjà beaucoup exploré, c’est le film de sous-marin. Il n’y a pourtant pas pléthore de longs-métrages se déroulant intégralement dans ces boîtes de conserve plus ou moins étanches. Mais il n’y a également pas de décor ou d’ambiance plus reconnaissable, et les codes y sont, de par la nature exclusivement militaire de ces engins, complètement immuables. Les films de sous-marins racontent des histoires viriles (eh oui, la mixité est rarement de mise dans ces lieux confinés), pleines de suspense (l’objectif est de passer inaperçu et de viser juste) et toujours à forte portée claustrophobique. Sur ces bases connues, difficile de faire original, comme l’avait encore rappelé récemment l’inédit Phantom avec Ed Harris. Le scénariste de Black Sea, Dennis Kelly, a donc le mérite de proposer cette fois une histoire intéressante, qui puise plus ses racines dans des classiques de chasse au trésor, que dans l’indéboulonnable Das Boot.

La mer de toutes les peurs

Black Sea : les lingots de la discorde

Le héros de Black Sea est un effet un capitaine de submersible, certes, mais qui n’a rien d’héroïque. Robinson (Jude Law) est en effet un homme fatigué, qui a raté sa vie de famille en la sacrifiant à son travail. Et quand il se voit mis à la porte après 25 ans de loyaux services dans la Marine britannique, c’est la goutte d’eau qui fait déborder les réservoirs. Robinson entend parler autour d’un verre d’une histoire d’or nazi, resté bloqué dans les profondeurs de la Mer Noire dans un sous-marin russe. Soutenu par un mystérieux armateur, il constitue un drôle d’équipage anglo-russe, et part en mer dans un vieux sous-marin, assez rouillé pour supporter une dernière mission en eaux profondes. L’idée est que chacun recevra une part égale du butin : mais tous ces hommes de métier sont comme Robinson. Chacun à leur manière, ils sont brisés par la vie et obsédés par l’idée d’être enfin riches. Et cette instabilité va vite transformer la chasse aux lingots en dangereuse mission de survie…

« Le réalisme des décors contribue pour une bonne part
au sentiment d’immersion procuré par le film. »

La première surprise qui nous attend en montant à bord de ce nouveau film du versatile Kevin McDonald (réalisateur remarqué du Dernier roi d’Écosse, de L’aigle de la 9e légion et du raté How I live now), outre le fait qu’il s’agit pour une fois d’un récit contemporain, provient du jeu de Jude Law. Tout comme dans Dom Hemingway, l’acteur semble prendre un vrai plaisir à durcir son apparence et délaisser les mimiques de séducteur pour camper un personnage intense, loin d’être irréprochable ou même sympathique. Grâce à son épais (et faux) accent écossais, son caractère obstiné qui le place systématiquement en opposition avec les membres de son équipage, son besoin, noble, mais déraisonnable, de prouver au monde et à lui-même qu’il n’est pas qu’un simple rouage au service des puissants,  le capitaine Robinson devient une figure étrangement charismatique. Law domine en tout cas un casting solide, mais coincé avec des personnages plutôt unidimensionnels, de la bleusaille innocente au traducteur russe devenant la voix de la raison, en passant le « banquier » fielleux et lâche (le toujours excellent Scoot McNairy). Seul Ben Mendelsohn, dans la peau pourtant classique du mécano sociopathe et violent Fraser, parvient à voler suffisamment de scènes pour être aussi mémorable que son capitaine.

Une plongée réaliste et impitoyable

Black Sea : les lingots de la discorde

Le tournage de Black Sea, comme nous l’apprennent les bonus de l’édition vidéo, s’est réparti entre une véritable antiquité de l’armée russe et un sous-marin de studio reproduit à la perfection. Le réalisme des décors contribue pour une bonne part au sentiment d’immersion procuré par le film, qui passé le premier quart d’heure, ne s’extraie jamais des profondeurs, et amplifie habilement le danger qui pèse sur ces hommes attirés par l’appât du gain. De fait, le véritable ennemi dans ce huis clos n’est jamais extérieur : comme dans l’excellent Abîmes, l’équipage lui-même est son propre antagoniste, malgré les tensions un peu faciles qui naissent à mi-parcours entre les parties britanniques et russes de l’équipe. La seule chose qui les unit, c’est la perspective de repartir riche de la mission, une unité fragile mise en avant lors d’une étouffante séquence de plongée sous-marine, évoquant brièvement Abyss, et bénéficiant d’excellents effets spéciaux.

Au vu de la solidité des éléments qui composent son odyssée, McDonald déçoit malgré tout en précipitant un dénouement qui boucle l’affaire sans trop d’imagination. Black Sea avance une morale douce-amère qui joue sur des émotions par ailleurs absentes d’un film avant tout psychologique. Il n’y a qu’à voir la façon dont les membres d’équipages sont réduits à plusieurs reprises à de simples notions mathématiques (moins d’hommes à bord = moins de possibilités de faire tourner l’engin correctement) pour se rappeler que nous ne sommes pas ici chez James Cameron, mais plus dans une version malpolie et sous pression du Trésor de la Sierra Madre.