Y avait-il matière à faire de l’adaptation tant (in)attendue du Hobbit une nouvelle trilogie, plus de dix ans après le premier périple de Peter Jackson en Terre du Milieu ? Plus que l’utilisation du HFR – on y reviendra – ou que la mise sur la touche, dès la période de préproduction, de Guillermo del Toro, lassé d’attendre le feu vert d’une MGM alors en pleine banqueroute et sans doute conscient que son approche du projet n’enthousiasmait pas tellement les artistes et techniciens de Weta, c’est cette question qui a suscité le plus de méfiance, voire de quolibets. Le Hobbit : un voyage inattendu paie encore, depuis sa sortie, les conséquences de cette décision justifiée par Jackson lui-même au printemps dernier. Il y avait assez de matière pour demander au studio (Warner a repris le flambeau) de transformer le diptyque en trilogie, a-t-il répété depuis des mois. Comprendre : en adaptant les appendices du Seigneur des anneaux et une partie du Silmarillion et des Contes Inachevés pour les mixer avec ce qui n’est au départ, rappelons-le, qu’un livre de 400 pages pour jeune public, dont la trame linéaire n’autorisait pas vraiment un développement à rallonge.

Rappelons-nous le temps du Seigneur…

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Bilbo (Martin Freeman), un Hobbit en qui bouillonne l’appel de l’aventure.

Du coup, les critiques ironisent sur le côté « il met du temps à venir, ce voyage » de ce premier épisode, étendu sur 2h45 et imposant le respect au moins du côté technique, vu qu’il semble admis que Jackson et son équipe ont tourné en 3D un film à 48 images/seconde, promettant une immersion accrue dans ce monde de fantasy dans lequel des millions de spectateurs n’attendaient que de replonger. En optant pour le délayage plutôt que pour la compression – même en version longue, les trois opus du Seigneur des Anneaux laissaient sur le carreau des personnages et pans entiers du roman de Tolkien – Jackson a eu le luxe de pouvoir prendre son temps, et de créer une saga au parfum d’inédit, sans doute plus que la précédente trilogie. Le Hobbit tient-il pour autant ses promesses ?

Le voyage n’est, de fait, pas vraiment inattendu pour les connaisseurs comme les néophytes. La Terre du Milieu récréée en Nouvelle-Zélande nous est depuis longtemps familière : on se sent comme chez soi dans Le Hobbit, et le film joue dès les premières minutes la carte de la nostalgie, d’abord grâce à la musique d’Howard Shore, qui revisite avec légèreté son joyeux thème de la Comté, puis grâce au décor de Hobbitebourg lui-même, recréé de fond en comble mais fidèle à notre souvenir. Elijah Wood passe dire bonjour, pour créer un lien artificiel avec cette nouvelle aventure. Et puis nous découvrons notre héros, Bilbo dans sa prime jeunesse. Martin Freeman, qui s’était lui-même senti déraciné en quittant sa bien-aimée Angleterre pour tourner à l’autre bout du monde, était le choix idéal pour incarner cette version affable et encore propre sur elle d’un héros en devenir. En éclatant au maximum les pistes narratives de son film, Peter Jackson va pourtant lui donner peu d’occasions de briller.

Les sentiers de la répétition

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Le Conseil d’Elrond reloaded (il ne manque qu’un Rôdeur et on est bon).

Le Hobbit « 1 » est, il faut bien le dire, un film très étiré, dont les problèmes ne vont pas naître de la réalisation, toujours aussi aérienne et maîtrisée (malgré le côté statique des scènes de dialogues, ampoulées par les impératifs techniques de la 3D HFR), mais bel et bien du récit lui-même. Malgré la puissance symphonique de la partition de Shore, malgré l’implication renouvelée de la dream team de Jackson (le chef op’ Andrew Lesnie, le fidèle Richard Taylor, les artistes John Howe et Alan Lee ainsi que tous les surdoués de Weta Workshop et Digital), malgré le retour de personnages bien connus, de décors renversants et de scènes à couper le souffle, Le Hobbit n’a tout simplement pas la même ampleur thématique et tragique que son successeur littéraire. Tout ce que Jackson réussit pâtit en parallèle de notre manque d’implication dans une histoire qui peine à décoller, et s’arrête net sitôt passées les premières – époustouflantes – embardées.

L’éclatement sur deux, puis trois films, du Hobbit nous amène sur des rails déjà empruntés par une première trilogie intouchable : même prologue épique nous mettant de suite dans le bain (un voyage apocalyptique dans les grandes cités d’Erebor et de Dale, où un Smaug visiblement pas « terminé » nous est fugacement montré), même premier acte bucolique dans la Comté, où la compagnie des Nains est introduite lors d’une soirée arrosée fidèle au livre (c’est-à-dire longue). Les treize nains, accompagnés de Bilbo et Gandalf, se retrouvent à être aussi pourchassés en plein air avant d’arriver à Fondcombe. O surprise, la commu… la compagnie rencontre quelques problèmes lors de son voyage en montagne, avant de prouver collectivement sa valeur une fois rendue dans une cité souterraine (la ville des Gobelins remplace la Moria). Un voyage inattendu se conclut sans surprise avec une bataille en forêt contre une troupe d’ennemis menée par un second couteau plus énervé et charismatique que la moyenne (Azog remplace Lurtz), même si pas beaucoup plus loquace. Saroumane, Galadriel, Elrond… mêmes les aigles, ce deux ex machina amoureusement ridiculisé sur Internet, font leur retour, avant qu’une dernière séquence ne nous montre une montage solitaire, menaçante. Non, pas le Mordor, mais ailleurs, plus au Nord.

L’odyssée de Bilbo

THE HOBBIT: AN UNEXPECTED JOURNEY

La compagnie des nains va se heurter à quelques obstacles de taille.

Que le film épouse la même trame que la Communauté est inévitable : il s’agit dans les deux cas d’une quête emmenant des Hobbits vers l’Est, sous l’impulsion de Gandalf ; l’une est plus bon enfant, centrée comme son nom l’indique autour d’un personnage principal partant à la chasse au trésor (et au dragon), tandis que l’autre est une fresque chorale ayant pour objet une guerre apocalyptique entre le Bien et le Mal. Les méchants sont plus ou moins les mêmes, les paysages majestueux toujours issus des contrées sauvages de Nouvelle-Zélande… Que les clins d’œil à une saga aussi aimée abondent est en fait de bonne guerre (comme ce plan en miroir où Bilbo enfile pour la première fois l’anneau unique). Mais que ce début de trilogie soit à ce point calqué dans sa mécanique narrative sur son « modèle » est gênant, surtout quand on voit à quel point le noble et courageux personnage de Thorin, roi sans terre et chef des nains, est modelé et joué pour être le « nouveau Aragorn » – de ce côté, c’est réussi, à tel point qu’on en oublierait qu’il s’agit d’un nain d’à peine 1m40.

Cette tenace impression de déjà-vu est aussi due au fait qu’en faisant le pari de la nouvelle technologie plutôt qu’en s’interrogeant sur les raisons qui le ramenaient en Terre du Milieu, Jackson a joué la carte de la valeur sûre au niveau de son style : travellings aériens, amples mouvements de caméra, gros plans signifiants, montage musical… L’arsenal du Seigneur des Anneaux répond présent, à l’identique, comme si Jackson voulait cligner de l’œil à ses propres films jusque dans ses mouvements d’appareil (l’un des plans signature du prologue de la Communauté est repris tel quel lors d’un flashback – barbare et pour le coup inattendu – sur la bataille de la Moria).

Un spectacle Kolossal

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Thorin (Richard Armitage), LA révélation de ce premier épisode – avec Sébastien le hérisson.

Le Hobbit n’est malgré tout pas à ranger au rayon des sagas opportunistes et kiddy-friendly à la Narnia (pour citer un compatriote de Tolkien), malgré l’apport de mignons écureuils et de lapins de traîneau : en tant qu’entertainer, Jackson est loin au-dessus de la mêlée des Emmerich, Bay et autre Verbinsky. Si Le Hobbit fait montre d’un peu de « paresse » dans sa conception, il reste un spectacle de premier ordre, capable de transformer la moindre péripétie en séquence d’anthologie, grâce une myriade de détails toujours judicieux (l’épée luisante Dard fait son apparition) ou surprenants (on entend enfin des chansons de Tolkien sur grand écran), équilibrés avec un sens du timing imparable, et une intelligence dans le casting qui fait la différence – on est loin de King Kong à ce niveau. Ian McKellen, sous la barbe grise de Gandalf, fait un mentor imparable, Richard Armitage transforme Thorin, en quelques scènes, en héros incontournable. Les autres nains, camouflés sous d’épais maquillages, gagnent tous le droit d’être mis en avant le temps d’une réplique, d’une action : les six heures restantes de film devraient nous permettre de mieux les connaître, même si on doute qu’ils deviennent aussi populaires (car trop indifférenciés) que la disparate communauté de l’anneau.

L’inutile conseil de Fondcombe mis à part, les choix narratifs de Jackson sur le passé de Thorin, la mise en avant de Radagast le brun, éco-magicien au look douteux (des cheveux en mode fiente d’oiseau, du pur Jackson) ou de l’obséquieux et repoussant roi gobelin, se révèlent généralement maîtrisés, à défaut d’être toutes justifiables. Les morceaux de bravoure du livre (la rencontre avec les Trolls, les « énigmes dans le noir » avec Gollum) sont respectés à la lettre, malgré une complaisance certaine des animateurs pour mettre la créature mo-capée par Andy Serkis en avant plus que de raison. L’épisode le plus impressionnant de l’affaire (frustrante, répétons-le, malgré et à cause de sa durée excessive) restera le combat entre les géants de pierre, épisode titanesque rappelant inévitablement le classique vidéo-ludique Shadow of the Colossus, tout en contre-plongées menaçantes et en plans « impossibles », et qui gagne encore en majesté lors d’une vision en HFR.

Parlons-en d’ailleurs, de ce format « révolutionnaire ». Impressionnant de clarté et de fluidité, le HFR a aussi le défaut de tout accélérer (logique) et, par la mise en avant du côté factice du tout-numérique, de tout aplatir : lumière, décors, visages… La 3D compense en partie ces défauts, en ce qu’elle gagne enfin, elle, en luminosité et en netteté. Le « combo » impose pourtant, si l’on n’est pas trop bien placé d’écarquiller totalement les yeux, tant le rythme des informations visuelles à l’écran dépasse tout ce que l’on a pu expérimenter sur un grand écran. L’expérience est certes inédite. Elle est, répétons-le, sans équivalent actuellement. Mais elle laisse surtout, au bout de trois heures, une sensation de vertige tenace, qui demande à être apprivoisée sur des productions moins dantesques et surtout, moins longues.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq
Le Hobbit : un voyage inattendu (The Hobbit : An unexpected journey)
De Peter Jackson
2012 / USA – Nouvelle-Zélande / 169 minutes
Avec Martin Freeman, Ian McKellen, Richard Armitage
Sorti le 12 décembre 2012
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Crédits photos : © 2014 Twentieth Century Fox