Le secret des Kennedy : un scandale noyé dans les ténèbres

par | 1 février 2019

Grave et cynique, Le secret des Kennedy reconstitue une affaire célèbre aux USA sans jamais s’apitoyer sur son coupable héros, le dernier des frères Kennedy.

Film d’ouverture du dernier festival de Deauville, Le secret des Kennedy poursuit une tradition bien établie dans le cinéma américain depuis les années 60 : celle de triturer, d’ausculter et, d’une certaine manière, de prolonger le mythe de la famille Kennedy. Un clan ultra-WASP dont le plus emblématique représentant fut John Fitzgerald, le président assassiné. Mais de la veuve Jackie au frère Bobby, en passant par le fils, John John, ou la nièce, Maria Shriver (ex-mme Schwarzenegger), chacun des membres a vu son existence passée au crible des biographes, soumise à la tentation du romanesque, à la persistance sans cesse renouvelée d’une possible « malédiction Kennedy ». Comparées au royaume de Camelot, les années de présidence de JFK ne pouvaient que jeter une ombre écrasante sur une famille d’ultra-riches élevés pour tutoyer les plus hautes sphères, avant de chuter comme autant d’Icare échappés d’une tragédie grecque.

À l’ombre des hommes de pouvoir

Ce destin contrarié, Ted Kennedy n’y a pas échappé. Moins connu de ce côté de l’Atlantique que ses frères, celui qui fut cinquante ans durant sénateur du Massachusetts aura connu la plus longue carrière politique du clan. Mais celle-ci ne fut pas sans taches : l’une d’elles, tragique, lui coûta sans aucun doute l’investiture démocrate pour la présidence, et forme le cœur de ce Secret des Kennedy, qui explore le côté sombre d’un homme pris au piège de ses faiblesses, comme de l’héritage qui lui est laissé. 

Nous sommes le 18 juillet 1969, et dans quelques heures, l’homme marchera sur la Lune. Alors que le monde a les yeux rivés sur Buzz Aldrin et Neil Armstrong, Edward Kennedy (Jason Clarke, gueule de marbre) se rend sur l’île de Chappaquiddick pour participer à une régate avec, entre autres, son cousin Joe Gargan (Ed Helms, tout en dignité). Il retrouve un groupe d’anciens collaborateurs qui ont accompagné son frère Bobby pendant la campagne présidentielle de 1968. Bobby est mort assassiné, tout comme John, et l’aîné Joseph étant décédé pendant la Guerre, Ted est devenu le dernier héritier, celui sur lequel tous les espoirs reposent implicitement pour retrouver le chemin de la Maison-Blanche. Alors qu’il roule dans l’obscurité avec une ancienne assistante de Bobby, Mary Jo Kopechne (Kate Mara, presque éthérée), Ted sort de la route à l’entrée d’un pont et la voiture tombe à l’envers dans un étang. Sous le choc, il parvient à s’extirper du véhicule, mais pas Mary Jo. Elle restera prisonnière sous l’eau avant de manquer d’air et de mourir noyée. Ted, lui, appellera en vain ses amis à l’aide avant de rentrer à son hôtel… et de prévenir les autorités dix heures plus tard.

Kennedy à tout prix

De ce fait divers qui serait passé inaperçu si la personne au volant ne s’était pas appelée Kennedy et n’avait pas failli à son devoir d’avertir la police immédiatement après l’accident, John Curran (Tracks) tire un drame peu aimable, tout en retenue et en gravité. Avec un côté parfois un peu laborieux, le réalisateur s’emploie à dépeindre un homme complexe en lui trouvant non pas des excuses (Ted Kennedy est dépeint comme indécis, sujet à des sautes d’humeur, pleutre et fatalement moins charismatique que ses frères), mais en rappelant le contexte familial qui a construit l’intégralité de sa personnalité, et a précipité dans cette affaire ses choix malheureux. Comme celui de se faire passer pour une victime à l’enterrement de Mary Jo en portant une minerve.

Dans sa première partie, Le secret des Kennedy a tout du procédural factuel, dépassionné, et s’accroche le plus possible aux faits pour éviter de prendre partie. Une fois la tragédie « digérée », le film devient bien plus cynique, en faisant entrer en scène le patriarche paralysé Joseph Kennedy (Bruce Dern) et les hommes de l’ombre de JFK Robert McNamara (Clancy Brown) et Ted Sorensen (Taylor Nichols). Des stratèges chargés de démarrer la phase « damage control » pour préserver à tout prix l’image d’Edward et ne pas gâcher ses chances de devenir à son tour Président. D’innocente victime, Mary Jo devient une « situation » à gérer, et le film ne se prive pas d’appuyer là où ça fait mal en mettant en scène les parents désemparés de la jeune femme et l’indignation grandissante de Gargan, devenu la voix de la raison.