L’étrangleur de Boston : une enquête très « fincheresque »
Keira Knightley et Carrie Coon affrontent les préjugés en enquêtant sur l’étrangleur de Boston dans ce procedural un peu limité.
Moins « fameuse » chez nous que les méfaits de Ted Bundy ou Jeffrey Dahmer, l’affaire de l’étrangleur de Boston a toutefois sa place dans l’inconscient collectif des cinéphiles depuis que Richard Fleischer en a tiré un film avant-gardiste et fascinant en 1968. Cette version presque contemporaine des faits – treize femmes ont été assassinées entre 1962 et 1964 dans la mégalopole américaine – mettait l’accent sur la psychologie du tueur en série Albert De Salvo, incarné à l’époque Tony Curtis. Avec la nouvelle version de L’étrangleur de Boston (qui perd juste son « The » en VO, histoire de se démarquer un poil) produite par la 20th Century, le regard du metteur en scène et scénariste Matt Ruskin (Crown Heights) change de point de vue. Ici, ce sont les journalistes du Record American Loretta McLaughlin et Jean Cole, qui ont les premières fait le lien entre les différents crimes qui secouaient la ville puis inventé l’expression de « Boston Strangler », qui sont mises à l’honneur. De thriller psychologique, L’étrangleur de Boston est devenu en 2023 un procedural aux accents féministes s’épanouissant à l’ombre, écrasante, du cinéma de David Fincher.
Ce n’est pas pour dire que tout film consacré à un tueur en série doit forcément être comparé à l’homme derrière Seven, Zodiac et la série Mindhunter. Mais L’étrangleur de Boston attire inévitablement vers lui cette comparaison peu flatteuse, de par son rythme, sa construction et les thèmes qu’il survole.
Comme une envie de justice
Keira Knightley incarne avec autorité Loretta McLaughlin, mère de famille passionnée par les enquêtes criminelles qui se désole d’être cantonnée aux rubriques « Arts de la table » où elle doit faire la promotion de grille-pains. Les années 60 sont celles de l’émancipation – lente – des femmes, et Loretta fait ses preuves en travaillant sur son temps libre sur cette affaire de meurtres de femmes seules et âgées – dans un premier temps – qui va secouer profondément les Bostoniens. Son premier article, qui attribue tous les crimes à un tueur insaisissable (surnommé « le Fantôme » car il ne laisse aucune trace et s’immisce chez ses victimes en trompant leur méfiance) provoque un tollé chez la police mais son rédacteur en chef (Chris Cooper, qui fait le job) la soutient et lui adjoint une partenaire plus expérimentée, Jean Cole (la toujours juste Carrie Coon). Faire travailler un duo de femmes sur des crimes machistes est un coup de pub, mais qu’importe : l’affaire de l’étrangleur va devenir leur obsession, même une fois que le principal suspect Albert De Salvo sera arrêté…
« L’étrangleur de Boston doit composer avec un dénouement
en demi-teinte lié aux zones d’ombre qui entourent l’affaire,
même un demi-siècle plus tard. »
S’appuyant sur ce couple de professionnelles aux aspirations et au caractère similaires (des femmes indépendantes en avance sur le temps, qui doivent conjuguer un travail prenant avec leur vie de mère de famille et les attentes de maris qui préfèreraient les voir garder les enfants), L’étrangleur de Boston parvient à affirmer sa différence et c’est sans doute sa principale qualité. À la manière d’un She said, qui traitait de l’affaire Weinstein, le récit trouve sa force dans la mise en parallèle de ses héroïnes et des crimes révoltants qu’elles mettent en lumière avec professionnalisme, et leur besoin chevillé au corps de voir la justice triompher. Comme Zodiac, L’étrangleur de Boston doit néanmoins composer avec un dénouement en demi-teinte lié aux zones d’ombre qui entourent l’affaire, même un demi-siècle plus tard. Le film n’esquive pas cet écueil et s’y confronte même en suggérant une théorie qui ne fait pas l’unanimité concernant l’identité du ou des tueurs.
Cette exigence et cette rigueur ne font pas de Boston Strangler une réussite incontestable. L’implication des acteurs ne suffit pas à masquer l’inertie de la réalisation de Ruskin, qui singe sans savoir la reproduire la froideur clinique du style de Fincher et reste trop timorée pour contrebalancer le côté rébarbatif d’une enquête au cheminement mécanique, condensé en deux heures trop elliptiques. Plongé dans une pénombre jaunâtre et noyé par une avalanche de violons oppressants qui plombent la tension et notre attention, le film s’avère étriqué et indolent, surnageant au final par l’intérêt même de l’affaire et des héroïnes qu’il évoque, sans réussir à leur rendre complètement justice.