All is lost : le vieux Bob et la mer

par | 16 septembre 2025 | Rétroaction

All Is Lost : le vieux Bob et la mer

L’un des derniers grands rôles de Robert Redford, All is Lost embarquait en 2013 la star dans une odyssée minimaliste mais passionnante.

Jeffrey C. Chandor, ou JC Chandor, doit être un homme surprenant dans la vraie vie. Ou il adore surprendre. Comment expliquer sinon que pour son deuxième long-métrage, après le verbeux Margin Call, il ait choisi de partir dans une direction radicalement et opposée ? All is lost se passe ainsi entièrement de dialogues, ou presque, mais aussi de personnages et de décors, l’espace encombré de débris de Gravity ressemblant en comparaison à un week-end de 15 août sur l’autoroute. Des points communs peuvent être trouvés entre les deux œuvres, qui placent des protagonistes dans une situation en apparence inextricable face à leur destin, et qui montrent avec un souci besogneux du détail comment ils y font face. Mais si l’on en reste à la surface, Margin Call et All is lost sont aussi opposés et éloignés l’un de l’autre que les deux Pôles, et témoignent de la versatilité (qui s’est confirmée depuis) de l’ancien réalisateur de pubs (et fils de courtier) qu’est JC Chandor.

L’essentiel des dialogues d’All is lost est contenu dans le générique de début, alors que « notre homme » (il n’a pas d’autre nom) récite en voix off ce qui semble être une lettre d’adieu. Le côté fataliste du titre, apparaissant à la surface de l’eau, prend dès lors tout son sens – et ouvrira la porte à de multiples interprétations -, et le récit peut par la suite être vu comme une suite d’épreuves devant déboucher sur une issue inéluctable. Chandor ne cache pas qu’il s’est inspiré du récit de Hemingway, Le vieil homme et la mer, pour imaginer celui de « notre homme », marin expérimenté mais au crépuscule de la vie, interprété par Robert Redford, aussi seul à l’écran que l’était Tom Hanks dans Seul au monde. Redford n’a toutefois pas la chance d’être isolé sur une île, mais sur son yacht, le Virginia Jean (le nom désigne-t-il l’État ou une amoureuse ? Rien ne permet de choisir), victime d’une collision en plein Océan Indien dès les premières minutes. Ce n’est que la première étape d’une odyssée de la survie qui se racontera uniquement par l’image. Une prouesse en soi.

Face à son destin

All Is Lost : le vieux Bob et la mer

Notre homme se réveille à bord de son bateau, point minuscule dans l’immensité aquatique qui, ô ironie, se retrouve troué par un container tombé de l’un de ces gigantesques cargos qui balaient les océans. Loin d’être paniqué (il perd pourtant ses moyens de communication dans l’inondation de l’habitacle), le septuagénaire entreprend, minutieusement, de réparer sa coque percée. De manière presque bressonienne, la mise en scène s’attache à mettre en place un système d’enchaînement de plans aussi basique qu’efficace : Redford regarde un point de la caméra, réfléchit puis agit, l’effet de ses actions étant à chaque fois expliqué dans le plan suivant, qu’il s’agisse de gestes de navigation ou de simples réparations. Le personnage a beau être confronté à un enchaînement d’événements dramatiques, il s’en sort grâce à la complicité de cette mise en scène rassurante, binaire et patiente.

« Comme dans la plupart des grands rôles de Redford, son jeu sobre, dénué d’effets ostentatoires, fait tout passer par le regard. »

Mais bientôt, ce n’est plus seulement un trou qu’il s’agit de boucher : confronté à une suite d’imprévus qui a quelque chose de discrètement ironique, comme si JC Chandor prenait la place d’Ed Harris dans Truman Show et envoyait tout ce qu’il pouvait à la face de son héros, Redford doit lutter pour son bateau et sa vie. Déluges, tempêtes, creux de vagues dantesques, matériel défectueux, requins… le sort s’acharne contre notre homme, comme si un message lui était envoyé : celui de lâcher prise, d’accepter son sort. « Tout est perdu », vous dit-on !

Un périple universel

All Is Lost : le vieux Bob et la mer

Si l’identification avec le personnage de Redford est rendue difficile par l’absence volontaire d’éléments pour le décrire (tout ce que l’on peut savoir de lui provient de déductions, même si l’on peine à comprendre qu’un homme de son âge puisse ainsi prendre la mer tout seul, qui plus est dans un voilier sans moteur), les épreuves qu’il doit surmonter et l’instinct de survie qui animent chacune de ses actions sont universels. Le fait que ce héros malgré lui ne baisse jamais les bras, trouvant dans chacune des ressources qu’il parvient à sauver matière à repousser le pire, fait que l’on embarque à ses réserves à ses côtés. Chandor, parti d’un script d’une trentaine de pages, livre un film ramassé où la tension ne faiblit jamais, malgré qu’elle reste fixée à une échelle macroscopique, au plus près de l’homme, de ses doutes et de sa peur.

S’il n’obtiendra jamais l’Oscar du meilleur acteur (hé oui), Robert Redford montre dans ce rôle très physique et tout sauf séducteur, qu’il n’a rien perdu de son pouvoir de fascination. Comme dans la plupart des grands rôles qui ont fait sa légende, son jeu sobre, dénué d’effets ostentatoires, fait tout passer par le regard, les moues qu’il réprime ou affiche avec un timing parfait. L’âge apporte en 2013 à son visage les craquelures nécessaires à la construction d’un personnage que l’on devine insatisfait, solitaire et pas nécessairement aimé de ses proches. Pourtant, il s’accroche, « notre homme », même quand il passe par-dessus bord ou se réveille dans son canot inondé, ou quand le monde extérieur, symbolisé par ces cargos qui ont causé son malheur, s’avèrent indifférents à son sort. Chandor, malgré un budget qui limite les fonds verts à de timides et pas très réussies incursions, tire le meilleur d’un tournage en extérieur dans les bassins où fut tourné Titanic. Son décor « unique », son récit linéaire aux sous-textes philosophiques (et religieux, suivant l’interprétation que l’on retient des derniers plans), confèrent à All is lost des allures de film d’aventures ultime et primitif à la fois. Le film sera suivi, une nouvelle fois dans la carrière de JC Chandor par un long-métrage d’un tout autre genre, A most violent year. Et il restera, avec The Old Man & The Gun en 2019, comme l’un des testaments artistiques de la carrière d’acteur fabuleuse de Robert Redford.