C’était jusque là un paradoxe étonnant pour Hollywood : Superman, sans aucun doute le plus connu, le plus iconique des super-héros créés par l’Amérique, n’avait toujours pas la crédibilité cinématographique de ses rivaux, Batman et les X-Men en tête. La déception provoquée par le Superman Returns de Bryan Singer, production bancale tellement obsédée par l’héritage de Richard Donner qu’elle en oubliait de faire vibrer les moins nostalgiques de ses spectateurs, était telle qu’on voyait mal sous quelle forme le dernier fils de Krypton pouvait revenir à la vie sur grand écran (et encore, on ne parle mêmes pas du tournage avorté du Justice League de George Miller).
Soixante secondes de folie
De manière finalement assez logique, c’est entre les mains du wonderboy de Warner Bros, Christopher Nolan, qu’est né Man of Steel, écrit à quatre mains avec son fidèle partenaire David S.Goyer et confié à un cinéaste a priori très éloigné de leur univers, Zack « pardon pour Sucker Punch » Snyder. Le casting a été l’un de ces moments de suspense qui font sortir de l’ornière tout le gratin de Holllywood, en particulier pour désigner celle qui incarnerait Lois Lane. Au final, c’est l’éternel outsider Henry Cavill (Les Immortels) qui a pris du muscle pour rentrer dans la tenue moulante de Superman, bien entouré par un fabuleux trio (Michael Shannon dans le rôle de Zod, Kevin Costner dans celui du père Kent, et Russell Crowe marchant dans les traces de Brando dans le rôle de Jor-El). Les premières images du film, tourné dans l’Illinois et au Canada, laissaient présager une approche plus « nolanienne », comprendre mélancolique, sombre et sérieuse, que rentre-dedans. Mais ça, c’était avant.
Car le troisième trailer, le dernier sans doute avant la sortie du film prévue le 19 juin prochain aux USA, pour le 75e anniversaire du personnage, met cette fois tout le monde d’accord. Sans mettre de côté la dimension introspective entraperçue dans les bandes-annonces précédentes (le Clark journaliste est mis de côté au profit d’un Kent baroudeur des mers, Superman se pose toujours des questions sur ses origines et son rôle de messie moderne), ce trailer-là est un modèle de construction narrative, tablant pendant deux minutes sur ce que le public connaît de Kal-El (son arrivée sur Terre, son enfance à Smallville, ses premiers exploits adolescents, la découverte de son héritage dans la forteresse dans la Solitude…), avant de lâcher les chevaux pendant soixante secondes de pure folie intergalactique, portées par la musique pompière mais grisante de Hans Zimmer – autre point commun avec la franchise Batman. Pas de doute, les 225 millions ( !) investis sur le projet ont l’air d’avoir servi à quelque chose, même si quelques effets numériques restent perfectibles. Ah, et oui, Michael Shannon a l’air d’avoir pris un pied monstrueux à incarner le belliqueux général Zod (on savait l’acteur plutôt amateur de cabotinerie en roue libre depuis Premium Rush).
The Dark Avenger ?
Man of Steel fait penser en l’état à une greffe réussie entre l’univers de The Dark Knight (construction dramaturgique basée sur le principe de la création d’un mythe, présence de plusieurs figures paternelles encadrant le récit, héros tourmenté par le poids de ses responsabilités) et celui du carton concurrent Avengers (scènes de destruction massive en ville, combats titanesques en plein air, clins d’œil un peu méta aux codes du comic book). Intelligemment, le trailer fait peu parler son héros : les voix off de ses deux pères puis de Lois Lane se chargent de tracer en creux le portrait d’un Supes’ confronté à son messianique destin. Malgré les craintes, Snyder semble s’être emparé de ce matériau, auquel il semblait compliqué de rendre justice, avec gourmandise et déférence. Cela n’empêchera pas le film de prendre quelques libertés avec la saga (pas de kryptonite dans l’histoire, ni de Jimmy Olsen) et de faire des choix que les fans de l’homme d’acier renieront sûrement. C’était déjà le cas avec Superman Returns. Mais cette fois, il semble bien que le résultat, s’il est à la hauteur de ces remarquables 183 secondes (on a compté), fera taire tous les reproches.