Les circonstances qui entourent désormais la sortie de Mandela, un long chemin vers la liberté sont trop importantes pour être ignorées. Un temps associée au nom de Denzel Washington, cette adaptation de l’autobiographie de l’ancien président sud-africain s’est longtemps fait attendre, après la parution du livre en 1994. Alors que le peuple « pleure un père » selon les termes de son actuel président Jacob Zuma, le film de Justin Chadwick (Deux sœurs pour un roi) se dévoile au monde entier – après être sorti, avec succès, en Afrique du Sud – non plus un comme un biopic de plus, mais comme un hommage lyrique et ambitieux à la vie d’un homme exceptionnel. Autant dire qu’il est difficile d’aborder a posteriori le film objectivement, tant le souvenir ravivé du destin de « Madiba » risque d’obscurcir le jugement de chaque spectateur.
Les anecdotes qui entourent l’écriture de cette autobiographie sont presque aussi intenses que le contenu du livre lui-même : Mandela avait en effet écrit ses mémoires, poussés par ses compagnons d’infortune du Congrès national africain, depuis l’intérieur de sa cellule à Robben Island, où il fut emprisonné pendant 27 ans. Le manuscrit parvint, en cachette des gardiens, à l’extérieur de la prison. Cette période pour le moins difficile fit beaucoup pour construire la personnalité de Mandela que le monde apprit à connaître par la suite.
Le combat d’une vie
L’une des principales qualités d’Un long chemin vers la liberté vient sans doute de la volonté affichée de ses auteurs (parmi lesquels le co-scénariste de Gladiator, William Nicholson) de raconter le Mandela jeune, frondeur et volage, qui accéda dès les années 40-50 au rang de leader charismatique du mouvement anti-Apartheid. Ce « simple » combat aurait déjà suffi à alimenter une fresque passionnante sur un pays déchiré par le racisme, et les inégalités entre noirs et Afrikaners. Mais Chadwick et son producteur sud-africain Anant Singh ont eu les yeux bien plus grand que le ventre : le film entend raconter toute la vie de Madiba, et ce en moins de deux heures et demie. D’où cette impression, tenace, que le résultat final joue constamment la montre au lieu de nous éclairer sur la personnalité et les combats intérieurs qui ont animé la vie de ce grand avocat de la réconciliation.
Mandela débute, avec une intrusion ininterrompue de musique pompeuse, dans le village Thembu d’où est originaire Madiba, loin de la ville et ses tumultes. Mais une bonne partie du récit s’intéresse immédiatement après quelques scènes « initiatiques » aux débuts de carrière de celui qui est alors un avocat précurseur, un homme de couleur se heurtant à une sphère judiciaire entièrement blanche et conservatrice, qui voit d’un mauvais œil l’activité de cet excellent orateur. Bientôt, c’est l’heure de l’engagement politique avec le CNA, les premiers discours et marches contre le régime en place, aussi autoritaire que brutal. Le film ne se prive alors pas de montrer les aspects les moins reluisants du personnage, qu’il reconnaissait lui-même : carriériste, infidèle, mais parcouru par une rage intérieure qui donne des ailes au mouvement. Sa rencontre avec Winnie, future madame Mandela qui le soutient dans son combat, apporte alors une vraie plénitude à Madiba, qui vit alors ses proverbiales plus belles années.
Une femme (sortie) de l’ombre
[quote_center] »Chadwick et son producteur Anant Singh ont eu les yeux plus grands que le ventre : le film entend raconter toute la vie de Madiba, et ce en moins de deux heures et demie. »[/quote_center]
Alors que les événements plus connus de sa vie s’approchent (le procès pour terrorisme où il prononce son fameux discours sur le mode « Je suis prêt à mourir pour mes idées », son incarcération à Robben Island avec six compagnons du CNA), Chadwick choisit de donner également un coup de projecteur au destin de Winnie. Un choix heureux, parce qu’il permet de mieux connaître cette femme qui en restant si longtemps éloignée de son mari et en faisant « les frais » de son mariage avec un tel opposant politique (elle est régulièrement emprisonnée et battue, voire pire), basculera durant les années 70 dans la guérilla armée, au moment même où les townships de Soweto se révoltent dans le sang. Lorsque Mandela sortira en 1990 de prison, désormais convaincu que la seule voie qui vaille pour l’avenir de son pays est la réconciliation et non la vengeance, les chemins des deux époux, irréconciliables, se sépareront. « Ce qu’ils ont fait à ma femme restera leur seule victoire sur moi », dira Mandela.
Le personnage de Winnie est idéalement servi par une Naomie Harris (Skyfall) au jeu intense. Elle parvient dans chacune de ses scènes à transmettre par le regard ce sentiment de haine tenace, dévorante, qu’elle voue aux blancs et à leurs exactions, sur lesquelles le film ne s’attarde en contrepartie que trop brièvement. Face à elle, Idris Elba, bien loin des séries noires à la Luther et des blockbusters colorés comme Thor et Pacific Rim, se glisse avec une certaine aisance dans le costume d’une icône, qu’il personnifie durant cinquante années de sa vie. Bien qu’un peu trop carré et musculeux pour le rôle, l’acteur britannique convainc lui surtout dans la première heure, celle où Mandela évolue du rôle de militant prônant la non-violence à celui de leader d’un mouvement de résistance, assumant ses actions de sabotage et de lutte armée. Tout comme le scénario, il s’avère moins à son aise une fois que l’action s’installe à Robben Island, puis dans les arcanes de la sphère politique, avec laquelle il négociera la fin de l’Apartheid, avant de manœuvrer sans faillir pour devenir le premier Président démocratiquement élu, et être prix Nobel de la paix.
Toute une vie, et si peu de temps
Manifestement gêné par un maquillage censé le vieillir qui lui donne l’aspect d’une statue de cire, Elba ne peut, lors de ces scènes qui tentent de résumer maladroitement en quelques répliques l’état du pays durant le début des années 90, faire oublier le souvenir de Morgan Freeman, qui avait incarné le Président durant dans Invictus (pour l’anecdote, l’acteur sud-africain Tony Kgoroge, qui incarne Walter Sisulu dans Mandela, est également au générique du film de Clint Eastwood). Malgré son côté « cours d’Histoire » ultra-elliptique, donnant la sensation de tourner les pages d’un livre d’images sans que jamais des personnages autres que son héros ne s’incarnent véritablement – à part Winnie -, Mandela s’avère complémentaire plutôt que redondant avec Goodbye Bafana et Invictus, qui faisaient eux le choix, plus raisonnable, de se concentrer sur une période définie de la vie de Madiba, plutôt que d’avoir les yeux plus gros que le ventre.
Tourné en grande partie sur les lieux même de l’action, au Cap et à Robben Island, Un long chemin vers la liberté n’a toutefois pas à avoir honte de ses parti-pris. Aussi scolaire et immédiatement digérable soit-il (le film reste très politiquement correct, à de nombreux niveaux), c’est une œuvre qui permettra sans doute à de nombreuses générations – et pas forcément les plus jeunes seulement, comme l’a prouvé ce grand bêta d’Amaury Leveaux – de se familiariser avec le parcours, complexe, parfois paradoxal, mais finalement admirable d’un homme que chacun pensait connaître parfaitement. C’est d’ailleurs le plus grand combat qu’ait remporté Madiba dans sa vie : avoir su personnifier une idée, une philosophie de vie et de paix qui ne devrait plus être un idéal à notre époque, mais une réalité.
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Mandela : un long chemin vers la liberté (Long walk to freedom), de Justin Chadwick
2013 / Afrique du Sud – Royaume-Uni / 142 minutes
Avec Idris Elba, Naomie Harris, Tony Kgoroge
Sortie le 18 décembre 2013
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