L’amour que les cinéphiles portent au cinéma fantastique des années 80, bien que dans certains cas brouillé par une forme aiguë de nostalgie, n’a paradoxalement jamais été aussi fort que depuis qu’Hollywood s’est décidé à en piller méthodiquement les plus célèbres représentants, à l’occasion des remakes capitalisant justement sur cette nostalgie. Le marché de la haute définition, qui a redonné des couleurs et une actualité à certains classiques que la nouvelle génération ne connaissait que vaguement, permet de se replonger comme au premier jour dans une époque qu’on qualifiera candidement d’insouciante, jamais mieux personnifiée que dans les comédies douces-amères de John Hugues. La France n’a peut-être que faire de Breakfast Club, mais le chef d’œuvre du réalisateur/scénariste/producteur constitue pour certains enfants des eighties, comme l’espagnol Javier Ruiz Caldera, une madeleine indépassable, qui mérite moins une relecture servile qu’un hommage intelligent.

 

[quote_right] »Ghost Graduation est conçu, calibré, et méthodiquement rythmé pour vous foutre la banane, avec bande originale pop im-pa-rable en option. »[/quote_right]C’est désormais chose faite avec Promoción Fantasma, alias Ghost Graduation, deuxième et réjouissant long-métrage de ce jeune réalisateur qui s’était fait connaître avec un pastiche opportuniste mais poilant des récents classiques fantastiques de son pays, judicieusement appelé Spanish Movie. Caldera souhaite-t-il lancer une carrière sous le signe du clin d’œil cinéphile ? Ghost Graduation vaut en tout cas beaucoup mieux que l’étiquette de « film sous influence », car il constitue une denrée rare au cinéma : une comédie fantastique à la fois respectueuse de l’héritage qu’elle réinterprète, dotée de personnages hauts en couleur défendus par un casting inspiré, et surtout vraiment, vraiment très drôle.

Spanish College

 Ghost Graduation : salut les fantômes !

Si l’on devait résumer en quelques mots le pitch de Ghost Graduation, on pourrait dire qu’il s’agit d’un mélange entre Breakfast Club et Fantômes contre fantômes, avec une pointe de l’oublié Drôles de fantômes, avec Robert Downey Jr. Lors d’une séquence d’introduction dans laquelle Caldera injecte notamment le premier d’une longue liste de clins d’œils à Carrie, nous faisons la connaissance du jeune et timide Modesto, dont le nom résume déjà toute la personnalité. Modesto, comme le petit Cole de Sixième sens, a un don bien embarrassant : il voit des morts. Notamment le spectre d’une jeune fille qui l’invite à danser durant le bal de fin d’année, au son du Total Eclipse of the Heart de Bonnie Tyler, ce qui provoque l’hilarité et l’incompréhension de l’assemblée. Des années plus tard, Modesto est devenu enseignant, et échoue dans un lycée qu’on jurerait sorti d’un décor de série américaine (mais qui est pourtant bien réel et en Espagne), qui s’avère être copieusement hanté. La cause ? Une bande de teenagers ectoplasmiques, coincés sur place depuis un funeste bal de promo de 1985, et que l’ennui pousse à faire des farces dignes de Ghostbusters. Bon gré mal gré, et afin de prouver sa valeur aux yeux d’une directrice aussi gourde que sexy, Modesto prend sur lui d’aider ces dead teenagers à passer enfin leur diplôme, pour peut-être quitter ce très scolaire purgatoire.

 

Soyons clairs sur ce point : Ghost Graduation ne déroge pas, dans une certaine mesure, aux clichés et mécanismes en vigueur dans ce type de comédie grand public. Bien sûr, il y aura des obstacles, des renoncements, des secrets cachés qui vont ponctuer l’aventure de cette classe pas comme les autres. Et n’espérez pas une fin nihiliste, elle n’arrivera pas. Ghost Graduation est conçu, calibré, et méthodiquement rythmé pour vous foutre la banane, avec bande originale pop im-pa-rable en option. La grande force du film est qu’au-delà des renvois explicites à Breakfast Club, American College, De Palma et Robert Zemeckis, il s’appuie sur un scénario solidement charpenté, garni d’assez de sous-intrigues pour ne pas tomber dans la facilité.

Le club des cinq fantômes

 Ghost Graduation : salut les fantômes !

[quote_center] »Vous vous rappelez, vous, de la dernière fois que vous avez eu envie de vous lever pour applaudir une comédie ? »[/quote_center]Il y a d’abord ce personnage de Modesto, incarné avec un parfait air d’éternel ahuri/endormi par Raul Arévalo (vu dernièrement chez Almodovar et Alex de la Iglesia), outsider instantanément attachant passant progressivement du statut de souffre-douleur à celui de héros malgré lui, gagnant le respect de cinq fantômes eux aussi intelligemment brossés. Bien qu’ils s’appuient visuellement sur des rôles rendus célèbres par Emilio Estevez ou Molly Ringwald, les cinq acteurs dénichés par Caldera donnent à chacun de ces trublions une personnalité bien plus riche et convaincante que dans nombre de comédies du même genre venues d’Amérique. Qu’il s’agisse du beau sportif amoureux « virtuel » d’une gothique suicidaire pouvant le voir, d’une gentille potiche éternellement enceinte, ou de « Pinfloy » (prodigieux surnom !), coincé pour toujours dans un costume volé à Miami Vice et un état d’ébriété avancé, chacun à l’occasion de mener à bien son propre parcours, rendant le film incroyablement touchant entre deux montage musicaux évocateurs et gags plus ou moins fins.

 

Le plus étonnant dans tout cela est que le film n’a pas autant déchaîné les passions lors de sa sortie en Espagne que Spanish Movie. Avec un budget moyen, un script peaufiné au fil de multiples réécritures par Caldera et ses deux co-scénaristes, et des effets spéciaux aussi efficaces qu’imaginatifs, le résultat s’avère pourtant être une bombe d’énergie, précieuse parce que sans cynisme, à l’image de la décennie cinématographique où elle puise son inspiration. Si le film est déjà prévu pour sortir sur le continent Américain (chez nous, c’est encore un gros point d’interrogation) et en Italie courant juin, l’inévitable remake US est lui déjà en cours d’écriture, sous la houlette d’Overbrook Entertainment (boîte de production de Will Smith). En dehors des vieux classiques, les sensations étrangères sont de fait devenues l’autre grande manne d’intérêt des studios californiens. On voit pourtant mal comment une version plus calculée et moins artisanale pourrait reproduire la magie de ce Ghost Graduation sorti de nulle part. À Bruxelles, où Caldera a remporté en avril le Grand prix et le prix du public du Bifff, le film a déclenché une standing ovation improvisée façon Cannes. Vous vous rappelez, vous, de la dernière fois que vous avez eu envie de vous lever pour applaudir une comédie ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Ghost Graduation (Promoción fantasma)
De Javier Ruiz Caldera / 2012 / Espagne / 88 minutes
Avec Raul Arévalo, Alexandra Jiménez, Carlos Areces
Sortie prochainement
[/styled_box]