Marshall : justicier du samedi soir

par | 14 juin 2018

Thurgood Marshall, figure de la lutte pour l’égalité des droits, devient un avocat-justicier charmeur dans ce film inédit avec la star de Black Panther.

La relation amour/haine que l’Amérique entretient avec son système judiciaire constitue une matière perpétuellement fascinante pour le public français. Les films de procès qui en résultent finissent souvent par se ressembler, mais s’appuyer sur une figure historique pour pimenter la recette, comme le fait Marshall : la vérité sur l’affaire Spell rajoute un véritable intérêt au genre. Le film de Reginald Hudlin, réalisateur de télé plus connu pour avoir signé Boomerang, l’un des nombreux projets-caprices d’Eddie Murphy dans les années 90, choisit en effet de se pencher sur les jeunes années de prétoire de Thurgood Marshall, premier afro-américain à avoir siégé à la Cour Suprême. Une période moins inconnue pour un personnage encore moins célèbre chez nous, mais qui fournit un background intéressant à ce qui s’avère être un suspense judiciaire débordant de classicisme.

Le procès des discriminés

Retour en 1941, alors que la discrimination raciale est une réalité brûlante aux USA. Et pas seulement dans les États sudistes comme le Mississippi. Joseph Spell (Sterling K. Brown, voleur de scènes certifié), chauffeur et majordome noir dans le Connecticut, en fait les frais lorsque la femme de son patron, Eleanor Strubing (Kate Hudson) l’accuse de l’avoir violée et d’avoir tenté de la tuer en la jetant d’un pont. Une peine de prison à perpétuité pourrait être prononcée si l’homme est jugé coupable. Le cas requiert l’assistance d’un membre éminent de l’association nationale pour la promotion des gens de couleur (NAACP), qui intervient dans les cas où les préjugés raciaux menacent d’empiéter sur la justice. Cet avocat, c’est Thurgood Marshall (Chadwick Boseman, entre deux aventures de Black Panther), qui mène une croisade en faveur de l’égalité des droits. Mais avant d’entrer dans l’Histoire, Marshall doit composer avec un juge coriace, qui l’oblige à se faire « épauler » par un confrère, Sam Friedman (Josh Gad, vu dans Le crime de l’Orient-express et La belle et la bête), avocat juif spécialisé dans les fraudes à l’assurance. Le tandem va devoir faire front dans l’adversité pour innocenter Joseph… Il est étonnant de voir un film nommé Marshall s’intéresser non pas à la vie de son personnage-titre » mais un épisode a priori anecdotique de sa carrière. Hudlin et son duo de scénaristes, Michael Koskoff et son fils Jacob, se la jouent modeste, en transformant ce qui pourrait très bien être une version juridique et feutrée de Mississippi Burning en thriller judiciaire du samedi soir, enlevé et léger au point de frôler par endroits la caricature cartoonesque. Installé dès les premières minutes dans son rôle de justicier précurseur et infatigable défenseur des minorités (il faut le voir retrouver en quelques secondes le sens du devoir pendant une audience, alors que sa femme vient de lui annoncer sa fausse couche), Marshall est dépeint ici avec la finesse d’un héros de série télé à l’ancienne. Un « Equalizer » du droit civil en deux dimensions, que le monolithique Boseman incarne avec un mélange de froide motivation et de charme blagueur. Face à lui, un Josh Gad finalement bien plus divertissant à suivre hérite d’un rôle de faire-valoir comique qui prend peu à peu possession de l’espace dramatique.

Un procès et basta

La sympathique alchimie entre les deux acteurs rend plus acceptable un script cousu de fil blanc qui se dénouera à coup de flash-backs, tandis que les adversaires de nos héros, le flippant Dan Stevens (The Guest) et un James Cromwell livide, rivalisent de mines sinistres et de saillies condescendantes. Le regret demeure, au moment du générique de fin, de voir la vie passionnante de l’homme de loi qu’était Marshall restreinte à un long épisode de série judiciaire ponctué d’infos Wikipedia sur l’action de la NAACP. Au vu de l’accueil timide du film outre-Atlantique, qui a motivé une sortie VOD-only sur notre territoire, pas sûr que le juge Thurgood ait droit de sitôt à un biopic en bonne et due forme…