Meurtres sans ordonnance : un thriller sobre et tendu
Le réalisateur Tobias Lindholm adapte dans Meurtres sans ordonnance une histoire vraie glaçante, avec sérieux et empathie.
Malgré le fait qu’il soit hébergé sur une plateforme, en l’occurrence Netflix, qui multiplie de manière presque dérangeante les documentaires, séries et séries documentaires sur les « true crimes », de Making a Murderer au récent Dahmer, Meurtres sans ordonnance (plus affreux titre VF de l’année, optez donc plutôt pour The Good Nurse) goûte peu à l’aspect sensationnaliste de son histoire. Macabres, les actes de Charles Cullen, infirmier sans doute coupable de centaines de meurtres perpétrés dans les années 90 et 2000 dans les hôpitaux privés où il a été embauché, le sont clairement. Ils forment même la base d’un documentaire sur la même plateforme, dont le titre putassier La mort portait une blouse et les effets de manche en disent long sur l’absence de pudeur de ses géniteurs. En adaptant le livre de Charles Graeber, le réalisateur Tobias Lindholm (scénariste de Drunk et La Chasse, mais aussi réalisateur de Hijacking et A War) et sa scénariste Krysty Wilson-Cairns ont toutefois décidé de décentrer le regard du spectateur pour s’attarder sur celle qui a aidé la justice à arrêter le discret sociopathe : Amy Loughren, une collègue de son équipe de nuit. La « good nurse » du titre.
Une infirmière qui a du cœur
Dans The Good Nurse, cette héroïne tout aussi discrète est incarnée par Jessica Chastain. Un personnage en or pour l’actrice qui s’épanouit dans ces rôles maternels, empathiques, mais souvent au bord de la rupture. Amy ne compte pas ses heures dans l’hôpital de Pennsylvanie où elle travaille et jongle avec son rôle de mère célibataire de deux jeunes enfants. Amy cache aussi à ses patrons la cardiomyopathie qui la laisse souvent à bout de souffle, au bord de l’infarctus. Les joies de la couverture sociale à l’américaine, qui l’empêche de se mettre en congé pour subir une transplantation du cœur. Alors quand la hiérarchie embauche Charles Cullen (Eddie Redmayne, en équilibre entre sobriété inquiétante et cabotinage désarçonnant), Amy se dit qu’elle va pouvoir souffler. Charles est toujours à l’écoute, prêt à aider, et un ami fiable. Mais un décès soudain dans l’unité de soins critiques soulève des interrogations. La police enquête malgré les réticences de la direction et des anomalies apparaissent. Et si, pense Amy, Charles trafiquait les sondes des patients pour les euthanasier de force ?
« Tobias Lindholm maintient son œil fermement concentré sur le côté déchirant de la tragédie qui se noue dans l’intimité de ses personnages. »
Malgré l’importance qu’il donne au côté procedural de son scénario, qui permet de recroiser le toujours excellent Noah Emmerich (ici dans le même registre que la fabuleuse série The Americans), il est clair que Tobias Lindholm se passionne plutôt dans The Good Nurse pour la peinture clinique, c’est le cas de le dire, d’un milieu hospitalier marchant littéralement sur la tête. Plus que le suspense paranoïaque flottant autour de la possible culpabilité et des motivations de Cullen, c’est le mécanisme administratif, étatique, permettant à cet homme à qui on confierait le bon Dieu sans hésiter, qui laisse sans voix. À mesure qu’Amy et les policiers lèvent le voile sur le passé de l’infirmier, que les pontes leur mettent des bâtons dans les roues, la colère du spectateur enfle, jusqu’à nous étouffer. The Good Nurse, avec un style patient et méticuleux (certains diront austère) dépeint une société américaine malade de ses inégalités sociales, de son système de santé privatisé qui épuise les plus motivés et s’enferme dans un coupable aveuglement pour mieux nier ses failles. Cullen, dans ce contexte, apparaît comme un parasite que le système reste impuissant à maîtriser. À l’aide d’une écriture aiguisée et de comédiens investis, Lindholm maintient malgré tout son œil fermement concentré sur l’humanité de ses personnages, sur le côté déchirant de la tragédie qui se noue dans leur intimité.
Le film bascule, bizarrement, dans une ambiance de polar psychopathique du samedi soir dans sa dernière ligne droite. C’est que The Good Nurse ne veut pas renier sa nature de film de genre, qui plus est sur Netflix. Mais la sobriété du long-métrage, son sérieux inébranlable qui n’oublie jamais les vies brisées au cours de cette affaire (certaines scènes vous prennent sans prévenir à la gorge, en quelques plans seulement), reste en mémoire. Lindholm, cinéaste d’une humanité en crise, confrontée à des dilemmes impossibles, réussit ici son entrée dans le cinéma anglo-saxon.