Rencontre avec Talal Selhami : « Achoura est un film prototype »

par | 5 décembre 2022

Rencontre avec Talal Selhami : « Achoura est un film prototype »

Comment réalise-t-on le premier film fantastique marocain ? Talal Selhami revient pour nous sur les coulisses du tournage d’Achoura.

Fils de journaliste ayant grandi au Maroc puis fait ses études à la Sorbonne, Talal Selhami a passé sa vie entre deux pays et deux cultures, mais une passion universelle le définit depuis ses plus jeunes années : le cinéma. Et plus précisément le film de genre, américain, bien sûr, mais pas seulement. Réalisateur de courts-métrages dès la moitié des années 2000, l’artiste cinéphage a fini par sauter le pas du long en 2010 avec Mirages, huis clos à ciel ouvert à la lisière du surnaturel, qui fait le tour des festivals à Bruxelles, Sitges ou Neuchâtel. Talal Selhami a mis le pied dans la cour des grands, mais il faudra attendre 2018 pour qu’il transforme l’essai avec une production 100 % fantastique, Achoura. Le premier du genre pour le Maroc et une aventure contrastée pour le jeune metteur en scène, qui a rongé son frein avant que son film, stoppé dans son élan par deux années de Covid, puisse sortir dans son pays d’origine puis en France, où il est disponible en VOD et dans un Blu-ray édition limitée garni de bonus (making of, interviews, effets spéciaux), chez Le chat qui fume. Heureux que son bébé soit enfin visible, Talal Selhami nous raconte les coulisses de la production de ce film aussi sincère qu’ambitieux.

Rencontre avec Talal Selhami : « Achoura est un film prototype »

Comment est né le projet Achoura ? Comment s’est-il monté ?

Après la sortie de Mirages, j’ai commencé à mettre en place ce qui allait être Achoura avec mes deux scénaristes et j’ai monté une structure de production. Je savais qu’un film de monstres allait être ambitieux et même si on intégrait un financement français, ça allait être compliqué. Je voulais que chaque centime aille dans le film. Cela a été assez vite finalement. Je suis un amoureux des effets spéciaux, et je voulais mélanger effets pratiques et VFX. On s’est un peu trompés, déjà dans notre choix de superviseur des effets spéciaux. La créature ne marchait pas beaucoup, ça manquait de prépa et les fonds arrivaient tard. C’est devenu bancal, du coup le budget a explosé en post-prod. On a trouvé une société d’effets spéciaux parisienne qui a repris le travail de façon très pro. On était un film fantastique d’Afrique du Nord, je ne voulais pas que ce soit cheap. En plus, notre producteur français a fait faillite et a coulé avec les droits du film, qu’il a fallu récupérer. On a cherché de nouveaux partenaires, écrit au CNC… C’est très compliqué, cela a pris trois ans, mais on ne s’en est pas trop mal sortis. Mais c’était super éprouvant pour moi, je n’avais jamais fait de production avant.

Comment s’est globalement déroulé le tournage ?

C’était complexe, il y avait beaucoup de tournage de nuit, avec des enfants, le travail en termes de direction artistique a été énorme. De ce point de vue, cette expérience, ce ne sont que des bons souvenirs.

Rencontre avec Talal Selhami : « Achoura est un film prototype »

« Achoura essayait de rendre « pop » le folklore marocain
et on revient à cette idée-là avec mon projet de série. »

Le film est un peu un prototype dans l’histoire du film marocain, avec cette ambition d’être aussi et surtout un vrai bon film.

Complètement. J’avais cette envie de faire un film de monstres, fantastique, mais aussi un film d’aventures, avec des références comme Fantômes contre fantômes en tête, par exemple. On a revu plusieurs choses à la baisse, bien sûr, le résultat n’est pas parfait. C’est un film qui aurait dû coûter trois fois son prix. Il y a eu d’autres expériences depuis, comme Dachra en Tunisie, il y a des tentatives au Moyen-Orient… Mais ça reste très discret. Il y a un manque de curiosité et comme Achoura est effectivement un prototype, tu essuies un peu les plâtres.

Comme Achoura est une co-production française, c’est étonnant d’avoir dû attendre 2022 pour le voir en France. Qu’est-ce qui explique le décalage entre la présentation du film en 2018 et cette distribution ?

On peut attribuer ça au Covid. 2019 a principalement été consacré à présenter le film en festival. Achoura est sorti en janvier 2020 au Japon et dans les pays scandinaves. Et puis tout s’est arrêté. Orange Studios a arrêté de vendre le film à l’international. Une fois la crise passée, les projections ont repris, on a eu une énorme sortie en Russie sur 400 écrans… C’est finalement en Europe de l’Ouest qu’on l’a moins vendu ! J’ai attendu longtemps une sortie salles en France, vu qu’on avait une aide du CNC. Mais on en revient toujours au point de départ : un film fantastique marocain, c’est difficile de savoir comment le positionner. Quand je vois que Xavier Gens galère à sortir un Cold Skin en salles, je me dis autant faire en sorte qu’il sorte, quoiqu’il arrive. Je me suis donc rapproché de mes amis du Chat qui Fume pour concocter cette sortie Blu-ray.

Au Maroc idem, les salles ont été fermées longtemps, et quand elles ont rouvert en janvier 2022, notre distributeur sur place, Pathé Afrique, a décidé d’exploiter le film en salles en octobre, en même que la sortie VOD française.

Rencontre avec Talal Selhami : « Achoura est un film prototype »

Avec le recul apporté par ces dernières années, comment juges-tu le résultat, par rapport à ces intentions et cette ambition de placer le Maroc sur la carte du film de genre ?

Déjà, faire ce film a été une vraie satisfaction. Le cinéma marocain ce sont surtout des films d’auteur et des comédies qui marchent très bien, un peu comme en France. Mais il y a des pays comme la Corée du Sud ou les USA, où le film a été présenté, où les spectateurs n’avaient jamais, je pense, vu de film marocain. C’est donc plutôt cool, Achoura devient un repère, de ce point de vue, je trouve qu’on a accompli cette mission. Je regrette juste personnellement qu’il n’y ait pas eu cette curiosité ici. Même si je ne suis pas amer, ça m’a poussé à aller de l’avant.

Ton actualité est de fait tournée vers des projets différents, notamment dans l’industrie du jeu vidéo.

Oui, sans vouloir me vanter, je suis un peu précurseur dans ce domaine, car je travaille pour une boîte qui fait du jeu narratif, Nutt Entertainment. Ils cherchaient il y a quatre ans un réalisateur de cinéma pour diriger un jeu, Tell me why, édité par Microsoft. Comme je suis aussi passionné de jeu vidéo, je me suis lancé dans le projet et j’ai rempilé récemment. Je prépare aussi avec mes producteurs d’Achoura un film fantastique en huis clos, « polanskien », ainsi qu’une série historique médiévale qui se passe au Maroc avec l’un des scénaristes du film. Achoura essayait de rendre « pop » le folklore marocain, et on revient à cette idée-là. L’idée, c’est de chercher le contrepied, de ne pas aller vers cette idée que je déteste de faire quelque chose « d’exotique », de dépasser les a priori et les clichés un peu cartoonesques qu’un certain cinéma occidental aime entretenir.

Achoura est disponible en VOD et disponible en vidéo en ligne sur le site www.lechatquifume.com