Mike Flanagan, l’angoisse en 5 films (et une série)
Acclamé pour la série The Haunting of Hill House, Mike Flanagan est devenu en une poignée d’années le nouveau maître de l’angoisse. On fait le point en cinq films !
Aucune honte de ne pas encore connaître le nom de Mike Flanagan, l’homme derrière le carton surprise d’octobre de Netflix The Haunting Of Hill House. Le natif de Salem (ça ne s’invente pas) n’a pas connu de succès massif et fulgurant semblable à d’autres grands noms contemporains du fantastique, comme James Wan. Depuis le début des années 2010, pourtant, ses films, livrés à un rythme allenien métronomique, parlent pour lui. Des œuvres à petit budget, parfois basées sur un concept idiot ou pas très cinématographique, mais qui à l’écran fonctionnent du tonnerre et remuent parfois par leur singularité et leur audace stylistique.
Touche-à-tout passionné du médium dès l’enfance, Flanagan fait partie de ces self-made-man inspirés comme on en croise trop peu dans le film de genre américain : un réalisateur-scénariste-monteur qui a rongé son frein pendant des années dans les coulisses d’émissions de télé-réalité, avant de « kickstarter » sa carrière avec une bande angoissante fait maison, Absentia, qui a attiré l’attention de la firme Blumhouse. Le reste fait partie d’une histoire qui continue de s’écrire après Haunting of Hill House, avec l’adaptation produite par Warner de la séquelle de Shining écrite par Stephen King, Doctor Sleep.
En attendant sa sortie en 2020, voici un instantané en cinq films, et une série, de la carrière de celui qui pourrait bien être le nouveau petit maître de l’angoisse au cinéma, Mike Flanagan.
Absentia
70 000 dollars. C’est le budget qu’il a fallu à Mike Flanagan pour financer (le mot est fort) Absentia, techniquement son quatrième film si l’on compte ses films d’étudiant encore plus désœuvrés. Tournée en 2011 près de son immeuble à Baltimore, cette micro-production conte l’histoire de Tricia, une femme désespérée depuis la disparition de son mari. Elle trouve bientôt des réponses dans le tunnel face à sa maison : d’autres disparitions sont liées à ce lieu lugubre… Adoptant par nécessité un style suggestif, Flanagan délivre ici un thriller psychologique avant tout, où le surnaturel découle d’un postulat réaliste et tangible. Un coup d’essai incroyablement prometteur à l’époque, resté inédit en France, malgré son arrivée sur Netflix US.
The Mirror (Oculus)
La carte de visite Absentia ayant fait son effet dans les festivals, Flanagan voit sa volonté de quitter le monde de la télévision récompensée par la firme Blumhouse, qui l’embauche pour livrer en 2013 Oculus, alias The Mirror, version longue de son propre court-métrage de 2006. Formidable série B horrifique louchant sur les vertiges sensitifs du cinéma de Kioshi Kurosawa, dans laquelle on retrouve de nombreux thèmes et dispositifs narratifs qui seront repris dans Hill House, Oculus part d’un concept douteux (une famille doit lutter sur plusieurs générations contre l’influence d’un miroir maléfique) pour construire un thrillerlabyrinthique culminant dans un dernier acte abolissant raison et repères temporels dans un même élan. Très fort.
Ne t’endors pas
Mis en boîte dès 2014, le film, dont Flanagan co-signe le scénario avec son compère Jeff Howard, Before I wake, ou Ne t’endors pas a dormi sur une étagère pendant trois ans, victime de la faillite du distributeur Relativity Media. Cet étrange drame fantastique relatant les conséquences du pouvoir d’un jeune garçon (Jacob Tremblay, pré-Room) pouvant matérialiser littéralement ses rêves sur sa famille adoptive, vaut pourtant qu’on y jette un œil. Les tropismes habituels du genre sont plus une nuisance qu’autre chose dans ce film apaisé à la Del Toro, qui cherche moins à terrifier qu’à faire naître l’empathie pour cette famille recomposée où deuil impossible et peurs enfantines se croisent et s’alimentent.
Pas un bruit
Ce qui devait être au départ un petit projet rapidement tourné et écrit avec sa femme Kate Siegel (future sœur angoissée de Hill House) se révèle être un autre home run pour Flanagan. Point de surnaturel dans Pas un bruit (Hush en VO), qui marque le début d’une collaboration fructueuse entre le cinéaste et Netflix. Mais une maison dans les bois où habite Maddie (Siegel), écrivaine sourde menacée par l’irruption d’un psychopathe. Exercice de style excitant qui prend à rebours certains clichés attendus (la femme en détresse est en fait pleine de ressources, le croquemitaine n’est qu’un plouc sadique) et tire le meilleur d’un concept tenant sur un timbre-poste, Pas un bruit donne la preuve que Flanagan est aussi un formaliste imaginatif.
Jessie
« Pour moi ce n’est pas l’élément surnaturel qui importe, mais les personnages, la tension ». S’il fallait retenir un film pour illustrer cette citation de Flanagan, ce serait Jessie. Ce projet, le réalisateur en rêvait depuis qu’il avait découvert le roman réputé inadaptable de King. Et il lui correspond bien : ce huis-clos menotte Carla Gugino au lit de mort de son mari Bruce Greenwood, et plonge dans des traumatismes et névroses irrésolues bien plus angoissantes et malsaines que n’importe quelle créature rampant dans sa maison. Flanagan sait que ce sont ces personnages qui nous font trembler, pas le gore gratuit ou les maquillages délirants. Jessie reste pour l’heure son meilleur film, le plus singulier, le plus mémorable également.
The Haunting of Hill House
Après dix ans de dur labeur côté cinéma, c’est finalement en signant avec Netflix pour une série que Flanagan a décroché la timbale. Adaptation très libre du roman culte de Shirley Jackson, où le cinéaste a embauché une bonne partie de ses acteurs fétiches (même chez les enfants, tous parfaits), The Haunting of Hill House est l’événement culturel majeur de l’automne pour la plateforme de streaming. Les spectateurs s’amusent à lister les « apparitions » en arrière-plan, les débats sur le final à contre-courant se multiplient…
C’est tant mieux pour Flanagan, tant ce show, vendu par l’auteur comme un Six Feet Under avec des fantômes, synthétise ses obsessions et ce qui fait l’attrait de son œuvre : des personnages faillibles, mais dotés d’une vraie profondeur, un ton qui ne sacrifie jamais à la surenchère d’effets cheap, une angoisse palpable faisant écho aux névroses de ses protagonistes, un goût pour les allers-retours temporels… Un tremplin en or, en attendant le retour du réalisateur dans l’univers de Stephen King – dont l’ombre et les thèmes planent aussi sur Hill House.