Le risque, pour un réalisateur de la trempe de Tim Burton, est de rester gravé dans l’inconscient populaire comme un créateur de rêves qui perd, film après film, son mojo. Parce qu’il a remis le gothique au goût du jour avec Edward aux mains d’argent (c’était il y a déjà 25 ans), redéfini le genre du film de super-héros moderne pour les besoins des Batman, porté à son plus haut niveau la comédie transgressive avec Mars Attacks!, l’ancien dessinateur de chez Disney s’est bâti une réputation justifiée de metteur en scène à l’univers florissant, à la fois enfantin et ténébreux, d’une maîtrise et d’une cohérence admirable. Or, cette belle admiration suppose une énorme attente. Depuis environ 13 ans et la sortie de Big Fish, Tim Burton ne touche plus de l’or, mais suscite plutôt de multiples reproches voire un rejet total. Dark Shadows, Alice aux Pays des Merveilles, tous deux tournés avec son acteur fétiche, Johnny Depp (qui n’a rien à lui envier en termes de mauvais choix), sont les exemples les plus fameux de ce long déclin. Pourtant, dans chacune de ces tentatives, la « patte burtonnienne » transparait, image après image. Depuis 30 ans, Tim Burton a inventé de nouveaux codes, que d’autres lui ont empruntés.
Les effets, qui étaient innovants, deviennent à présent « classiques » dans ce monde bombardé de long-métrages mainstream, aux effets graphiques toujours plus poussés, jusqu’à la saturation. L’excentricité a été domptée. Non, Burton ne perd pas son mojo, mais il ne cherche plus non plus à le renouveler. Il nous a laissé, en 2014 avec un très personnel Big Eyes, un drame inattendu sur l’art, le faux et l’imitation, qui lui tient à cœur. Malgré ses nombreux défauts, nous y avons alors aperçu une possibilité de seconde partie de carrière intéressante, qui prouvait qu’il pouvait aussi être bon dans des codes plus conventionnels. Le voici de retour au merveilleux, avec un conte certes intelligent, mais qui n’a pas la magie des débuts, qui transformait ses films en indiscutables objets cultes. Tim Burton se met au niveau de ses confrères actuels, et déçoit ceux qui le pensaient encore novateur.
Jacob Potter à l’école des particuliers
Pour faire « un film de Tim Burton », il faut avant tout un récit qui travestisse le conte de fées en une bizarrerie délicieusement décalée. Miss Peregrine et les enfants particuliers est l’adaptation du premier tome de la trilogie best-seller signé Ransom Riggs et publié en 2011. L’idée d’origine provient de photos anciennes trouvées dans de vieux greniers, qui montraient des personnages bizarres, des freaks semblables aux nains et les femmes à barbe des fêtes foraines. Dans son gentil bestiaire, Riggs a imaginé des enfants aux capacités hors du commun, ce qui donne une photo de classe déconcertante : l’enfant recouvert d’abeilles, la fille volante, les jumeaux masqués, etc. sans oublier leurs institutrice métamorphe.
Le héros de cette histoire, Jacob (Asa Butterfield, qui a bien grandi depuis Hugo Cabret) est un adolescent pétri d’amour pour l’histoire que lui racontait son grand-père (Terence Stamp). Il lui parlait d’une mystérieuse pension où vivent des enfants dotés de pouvoirs surnaturels. Son grand-père le mettait également en garde contre de mystérieux « monstres » déterminés à s’en prendre à eux. Après son décès violent, Jacob entreprend un voyage pour tenter de découvrir cet endroit magique. Au fin fond de l’Irlande, il rencontre Miss Peregrine (Eva Green) et ses pensionnaires. Capable de modifier le cours du temps, la gardienne de ce temple enferme la maison dans une boucle temporelle depuis 1943 afin de préserver ses occupants des terribles menaces qui pèsent sur eux.
Les particuliers pas si élémentaires
Dans cette aventure, où planent à la fois les spectres de Big Fish, Frankenweenie et d’Edward aux mains d’argent, c’est surtout la référence à Harry Potter qui semble la plus évidente. Le début du film coloré dans des tons gris et monotones illustre la vie quotidienne des « moldus », les humains ordinaires. Difficile de cerner ce que Tim Burton a souhaité faire du père de Jacob. L’acteur, Chris O’Dowd, sympathique informaticien dans l’inoubliable IT Crowd, semble peiner avec des répliques étranges, qui ne se semblent pas vraiment refléter la personnalité de Frank, à travers les yeux de son fils.
[quote_center] »Tim Burton est de retour au merveilleux avec un conte certes, intelligent, qui n’a pas la magie des débuts. »[/quote_center]
Véritable ode à la différence et à la tolérance, le film prend sa force dans l’innocence des enfants particuliers, véritables cautions surnaturelles du film. En se transformant pour survivre en X-Men de foire, ils offrent de véritables instants épiques et des scènes de bataille malheureusement trop courtes. Finalement peu exploités, ces personnages en culottes courtes en apparence, mais d’un âge avancé, méritaient peut-être plus que de simples flashbacks biographiques. Réduits à de simples figurants, comme les « moldus », ils ne sont qu’un prétexte à la mise en valeur quasi permanente des personnages d’Eva Green et de Samuel L. Jackson.
« Globophagie » et métaphores
La force du film réside aussi dans ses niveaux de langage, qui parlent aux plus jeunes (avertis) mais aussi aux adultes. Le contexte de la Seconde Guerre mondiale plane sur l’intrigue qui se déroule en 1943 et alimente la métaphore autour de ces fameux personnages « sans yeux », qui mènent des expérimentations scientifiques sur leurs congénères et sèment la terreur autour d’eux. La particularité de Jacob, considéré comme un être fort, non pas par sa force physique, mais par sa capacité à « voir » des choses que les autres ne voient pas, renforce le sentiment d’une lutte sans merci contre l’ignorance.
La représentation de la violence, par la « globophagie » (merci Monsieur Dupontel) est amenée de manière tellement outrée et grandiloquente qu’elle semble distribuer les punchs toujours plus répugnants, sans cohérence réelle. Il faut avouer que l’interprétation sans subtilité de Samuel L. Jackson n’aide pas à apprécier cette partie pour le coup extrême de l’histoire. La surreprésentation, au montage, de l’acteur qui pousse tous les compteurs de cabotinage au maximum, son maquillage folklorique et ses dialogues dignes d’un Batman dirigé par Schumacher deviennent de véritables lourdeurs pour ce long-métrage. Un épilogue précipité et un générique de fin gnangnan achèvent sur une note regrettable ce portrait du « Tim Burton nouveau », qui se cantonne au stade du divertissement humaniste toute en révélant d’énormes failles.
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Miss Peregrine et les enfants particuliers (Miss Peregrine’s home for peculiar children)
De Tim Burton
2016 / USA -Royaume-Uni – Belgique / 127 minutes
Avec Eva Green, Asa Butterfield, Samuel L. Jackson
Sortie le 5 octobre 2016
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Crédits photos : 20th Century Fox