Avec En mai, fais ce qu’il te plaît, Christian Carion rouvre une page de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale à travers un récit personnel et particulièrement français, au risque de tomber dans la franchouillardise. Après la débâcle de l’armée française en 1940, des milliers de Français ont quitté leur foyer pour fuir l’invasion nazie. Pour rendre vivante cette histoire, le réalisateur, qui s’est rendu célèbre avec un Joyeux Noël plein de bons sentiments, a choisi pour incarner le personnage de son grand-père l’acteur Olivier Gourmet, acteur subtil et habitué des rôles de petites gens. Il joue le rôle de Paul, maire républicain jusqu’au bout des ongles d’un petit village près d’Arras, qui, sous la menace de l’arrivée des Allemands, doit mener ses administrés vers Dieppe.

Un film choral et bien documenté

En mai, fais ce qu’il te plaît : ça tient la route !

Le cortège prend alors la route à pied et à cheval, animaux de la ferme et maigres provisions sous le bras, abandonnant leur ferme, sans savoir s’ils reviendront un jour chez eux. « Inutile de fermer la porte, fait remarquer la femme du maire, jouée par Mathilde Seigner, au moment du départ précipité. Il ne restera plus rien, de toute façon. » Parce qu’un long-métrage uniquement composé de villageois sur les routes du Nord-Pas-de-Calais pourrait finir par lasser, Carion a ajouté à son récit des sous-intrigues fictionnelles. Il suit le personnage de Hans (August Diehl, Night Train to Lisbon), un jeune Allemand qui a fui le régime nazi en compagnie de son fils pour atterrir dans le fameux bourg. Lorsque sa nationalité est découverte, il est jeté en prison à Arras, jusqu’à ce que l’offensive allemande éclate. Il s’échappe de la ville assiégée et part à la recherche de son fils. Il rencontre alors Percy (incarné par Matthew Rhys de l’excellente série The Americans), un soldat écossais qui a perdu l’ensemble de son bataillon.

[quote_center] »L’énorme travail de reconstitution opéré fait émerger, à travers la bouche de ses personnages, des témoignages vivants de notre histoire. »[/quote_center]

Certes, le film est quelque peu agaçant. Ses personnages caricaturaux et tous portés sur la bouteille sont souvent surjoués, en particulier le poivrot joué par Laurent Gerra, un océan de platitude vinaigré. La sous-intrigue père-fils semble complètement surréaliste. Mais plusieurs éléments font d’En mai, fais ce qu’il te plaît, un film particulièrement intéressant. D’une part, l’énorme travail de reconstitution opéré avec ce film, production cossue financée par Pathé, fait émerger à travers la bouche de ses personnages, des témoignages vivants de notre histoire. Les messages déposés sur les murs à destination des familles restées en arrière, le poids la Grande Guerre qui a laissé de multiples traumatismes et des blessures à la fois physiques et morales, ou bien les sentiments républicains et patriotiques qui en émergent, sont le fruit d’un long travail de recherche et réussissent à éclairer un pan méconnu d’une guerre pourtant déjà représentée à l’écran en long et en large.

La musique d’Ennio Morricone magnifiée

En mai, fais ce qu’il te plaît : ça tient la route !

Le casting étranger, composé par l’intense August Diehl et le talentueux Matthew Rhys, s’implique en outre profondément dans le film. Christian Carion offre au Britannique la meilleure scène du film. En effet, le soldat écossais rencontre Arriflex (Thomas Schmauser, également dans Joyeux Noël), un réalisateur de film de propagande nazi – d’où le nom en forme de clin d’oeil à la célèbre marque de caméra – qui fait rejouer de funestes batailles sous l’œil de sa caméra à des prisonniers de guerre. En une seule prise, Carion règle son compte à ce personnage nauséabond et s’offre un véritable kif de réalisateur. Les deux scènes de batailles, l’une illustrant l’assaut donné à Arras, l’autre une attaque aérienne sur les villageois sur la route, sont particulièrement bien conçues et parviennent à captiver en donnant à l’œuvre une patine de film de guerre à la tonalité épique.

Enfin, l’un des derniers aspects, très médiatisés, jouant en faveur de Carion est que la production s’est offerte les services du maître en personne Ennio Morricone, qui signe 30 ans après sa dernière partition pour un film français, une bande-son aux nombreuses envolées lyriques, qui colle parfaitement aux scènes en plans larges et prolongés sur l’épopée des villageois. Impossible, en regardant les plaines du Nord de la France et les chariots tirés par des chevaux, délicatement mis en valeur par l’orchestre, de ne pas penser à l’univers du western et à Il était une fois dans l’ouest en particulier, des références assumées par un Carion inspiré par son sujet. En mai, fais ce qu’il te plaît déroule un récit clair, simple et captivant, qui arrive à point nommé, en pleine crise migratoire, pour nous rappeler impérieusement une période de notre Histoire pas si lointaine.

Crédits photos : © Jean-Claude Lother

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Trois sur cinq
En mai, fais ce qu’il te plaît
De Christian Carion
2015 / France / 116 minutes
Avec August Diehl, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner
Sortie 4 novembre
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