Troisième documentaire long format réalisé à propos du réalisateur danois Nicolas Winding Refn (le premier, Gambler, est inclus dans le coffret DVD de sa célèbre trilogie Pusher, le second, NWR, figure en bonus sur l’édition belge de Drive), My life directed by Nicolas Winding Refn prend une forme et une importance bien différente. Ainsi que le titre le laisse explicitement entendre, il s’agit d’un œuvre catharsis pour la femme du cinéaste et mère de ses deux enfants, Liv Corfixen, qui a au fil des années laissé sa carrière d’actrice de côté pour s’occuper de la famille. C’est que Winding Refn, comme on le sait depuis son prix de la Mise en scène à Cannes, est désormais un nom mondialement reconnu (même si l’intéressé redoute plus que tout d’être catalogué à jamais comme « le réalisateur de Drive »). Et cette carrière internationale a poussé un peu plus son épouse sur le bas-côté, générant forcément des frustrations dans le couple.
[quote_center] »Le documentaire jette un éclairage désarmant d’honnêteté sur le processus intellectuel qui a mené à la réalisation d’Only God Forgives. »[/quote_center]
Corfixen, apprend-t-on dans ce documentaire tourné en 2012, au moment de la conception d’Only God Forgives, a d’autres envies que celle d’être une mère au foyer, même si le film la voit, pour une fois, accompagner son réalisateur de mari pendant le tournage avec ses enfants. My life directed by Nicolas Winding Refn a ceci d’intéressant qu’il est à la fois conçu comme un journal de bord, un making of chronologique suivant la création du film jusqu’à sa présentation glaciale à Cannes, comme une thérapie de couple, qui voit les deux intéressés se confronter à leur problèmes, et une catharsis artistique pour Corfixen. Ça n’est pas pour rien qu’elle s’attribue, un peu pompeusement, les rôles de scénariste et directrice de la photographie du film, en plus d’en être de facto la réalisatrice.
Un drôle de microcosme familial
Le documentaire jette un éclairage désarmant d’honnêteté sur le processus intellectuel qui a mené à la réalisation d’Only God Forgives, film fascinant mais complètement vitrifié et hermétique. On y voit un Winding Refn obsédé par l’idée de ne pas faire un « Drive 2 », désespéré par un projet dont il peine lui-même à comprendre le sens, en pleine frustration créatrice. Toutes proportions gardées, son périple à Bangkok fait penser à l’odyssée cauchemardesque vécue par Coppola sur le tournage d’Apocalypse Now (documenté en vidéo par sa femme Eleanor). Mais il ajoute surtout un nouveau chapitre à l’éternelle histoire des femmes (et hommes) de l’ombre. C’est bien connu, il est difficile de vivre dans l’ombre d’un artiste, surtout quand celui-ci a un tempérament aussi ingérable que Winding Refn (qui n’est pas exactement dénué d’égo). L’une des séquences les plus cruelles voit Liv Corfixen se faire tirer les cartes par nul autre qu’Alejandro Jodorowsky, qui se mue un instant en conseiller conjugal et lui affirme : « Si tu veux être libre, il faudra divorcer ». Deux ans plus tard, c’est à deux que le couple fait la promotion du documentaire, alors que Nicolas se préparer à retourner sur la Croisette pour présenter The Neon Demon.
Le projet My life directed by… a donc fait paradoxalement office de thérapie de couple express, à la fois pour le réalisateur, confronté au regard inquisiteur d’une caméra à qui il se confie sans fard (« Je nous ait fait perdre six mois de notre vie », enrage-t-il après leur retour à Copenhague), et pour la réalisatrice, qui détourne les objectifs basiques du projet pour affirmer son indépendance et sa soif de création. Assez court (moins d’une heure), le film devient sous cet angle aussi impudique que ludique, en ce qu’il contient son lot de passages d’anthologie (l’histoire de la projection de Drive payée en cash dans une mallette est surréaliste) et crée à l’écran une forme de microcosme familial pas banal. On y comprend que Ryan Gosling y a pris le rôle du tonton sympa et débonnaire, Jodorowsky celui du grand-père bienfaisant, et l’aînée des Refn celui de philosophe en culottes courtes. C’est à elle qu’on doit cette lapalissade qui n’a pas de prix, dans la voiture menant ses parents au palais des Festivals : « De toute façon c’est pas si grave, tout ça, ça n’est qu’un film, non ? ».
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De Liv Corfixen
2014 / USA / 58 minutes
Avec Liv Corfixen, Nicolas Winding Refn, Ryan Gosling
Sortie le 27 avril 2016 en DVD (Wild Side)
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