Odd Thomas : ghostbuster malgré lui
Le regretté Anton Yelchin dégomme des monstres de tout poils dans le DTV fantastique Odd Thomas. Une adaptation de roman réussie, touchante et atypique.
Réalisateur orienté popcorn de La Momie et (hélas) de G. I. Joe et Van Helsing, Stephen Sommers a signé en 2014 en catimini une production, certes plus modeste, mais très intéressante. Adaptation du roman de Dean Koontz, auteur prolifique poursuivi depuis des années par le patronyme infamant et peu fondé de « Stephen King du pauvre », Odd Thomas est une série B fantastique décalée et pleine de charmes. Elle raconte l’histoire de Odd (« étrange » dans le texte), un jeune homme doué de la faculté de voir des morts. Ces derniers le sollicitent pour résoudre des crimes et protéger la ville fictive, mais non moins typiquement américaine de Pico Mundo, où il réside et travaille comme cuistot dans un diner. À l’aise à fois dans les scènes d’action, de comédie et de tragédie, le très humble Anton Yelchin (acteur d’origine russe à l’accent charmant, disparu trop jeune dans un tragique accident) semble né pour jouer ce rôle de jeune yankee bon samaritain torturé par son sens du devoir.
Un étrange mais sympathique chasseur de fantômes
Même s’il présente lui-même, en voix-off, son activité secrète comme particulièrement risquée et incompatible avec le moindre projet de vie, comme acheter une voiture ou une maison, Odd coule le parfait amour avec Stormy, incarnée par Addison Timlin (Zero Hour). Véritable girl next door, la jeune femme, indépendante et compréhensive, apporte un soutien de poids à notre héros qui en a parfois bien besoin. Leur couple, pierre angulaire du film, fonctionne particulièrement bien, les deux acteurs se complétant dans une harmonie touchante et sincère. L’omniprésent Willem Dafoe (à l’affiche cette année de John Wick, Nos étoiles contraires et Un Homme très recherché) joue le shérif de la ville, ami et protecteur de Odd, dont les parents sont aux abonnés absents. Si l’acteur de Platoon maîtrise son registre drôle, émouvant et percutant, il ne peut toutefois pas passer outre le manque de profondeur de son personnage.
« Odd Thomas est une série B fantastique décalée et pleine de charmes. »
Dans la lignée du remarquable Horns, cette aventure fantastique met en scène un jeune homme, à l’aube de sa vie d’adulte, entraîné dans un lutte pour sa survie et celle de ses proches, et qui doit résoudre un mystère en se basant sur des indices parfois contradictoires. Contrairement aux décevantes dystopies auxquelles l’intrigue ferait parfois penser, et qui bénéficient elles, d’une sortie sur nos écrans, Odd Thomas, s’il s’adresse à un public jeune, franchit sérieusement la limite du simple film fantastique, en s’autorisant parfois des instants de pur gore. Le film bascule parfois dans l’horreur, à l’image des monstres du film, qui rappellent les terrifiants Détraqueurs imaginés par Alfonso Cuarón dans le troisième volet d’Harry Potter, Le prisonnier d’Azkaban. Les effets spéciaux convaincants, distillés avec une réelle efficacité, permettent comme souvent chez Sommers d’assister à des scènes spectaculaires, avec des trouvailles crédibles et originales pour la plupart issues du roman. La caméra se balade ingénieusement durant ces séquences parfaitement rythmées pour leur donner plus d’intensité.
Du frisson et de l’émotion
La réalisation du film se rapproche de celle d’une série télé ambitieuse. Elle rappelle aux nostalgiques des perles du petit écran, comme Dead Like Me, qui partage avec Odd Thomas des personnages attachants, un humour décapant et un scénario qui a le bon goût ne pas prendre le spectateur pour un imbécile. Thomas mène une enquête qui n’est pas cousue de fil blanc et dont les rebondissements surprenants restent plaisants de bout en bout. Lorsque le film s’autorise à basculer dans la tragédie, il ne cède pas pour autant à la facilité, au risque de perdre le spectateur le moins exigeant. Au contraire : Stephen Sommers révèle un certain talent pour manier l’émotion sans tomber dans le pathos, et sans nous laisser indifférent au sort de ses personnages.
Odd Thomas se cantonne néanmoins à la série B. La romance juvénile, la naïveté de ses personnages, l’accumulation de clichés américains désuets (le centre commercial, les voitures vintage ou encore les balades en Vespa cheveux au vent) peuvent paraître quelque peu agaçantes vus de chez nous. Le personnage incarné par Willem Dafoe, nous l’avons dit, aurait peut-être mérité quelques scènes supplémentaires afin de donner du corps à son personnage, au lieu d’être cantonné à un statut de mentor bienveillant, ressort comique passif et peu crédible pour un chef de police d’une ville américaine. Malgré tout, Odd Thomas est une véritable découverte, qui jongle avec fluidité avec les ressorts du film policier, distille un humour décalé, file parfois la pétoche, rend un hommage appuyé au genre fantastique, et émeut avec une histoire d’amour digne, toutes proportions gardées, d’une tragédie grecque. Pour toutes ces qualités, on aurait pu espérer que la suite (il y en a six) des péripéties du sympathique et non moins étrange Odd soit adaptée au cinéma. Le destin en a décidé autrement…