Opération Fortune : ruse de guerre, au service du flegme

par | 14 avril 2023

Opération Fortune : ruse de guerre, au service du flegme

Divertissement au parfum de Mission : Impossible, le nouveau Guy Ritchie se distingue surtout par son humeur décontractée.

Par un étrange revirement des studios qui le distribuent, Opération Fortune : ruse de guerre (en français dans le texte) n’a pas eu le droit en France à une diffusion sur grand écran, contrairement au précédent long-métrage de Guy Ritchie Un homme en colère. Si les deux films partagent la même tête d’affiche — Jason Statham, qui doit en partie sa carrière à son vieux pote réalisateur —, cet Opération Fortune aurait paradoxalement attiré une plus large audience, avec son parfum d’ersatz ensoleillé de Mission : Impossible. Le résultat est toutefois moins porté sur les performances physiques époustouflantes de ses héros ou les scripts à tiroirs, que sur la nonchalante absurdité de ses personnages.

Sauver le monde, c’est pas gratuit

Opération Fortune : ruse de guerre, au service du flegme

Ritchie, c’est le moins que l’on puisse dire, se prend moins au sérieux que Tom Cruise, même si Opération Fortune ne braconne pas sur les terres parodiques d’un Johnny English (pour rester dans la mère patrie anglaise). Le film commence staccato, avec un montage en rythme soulignant avec un brin d’ironie l’urgence de la situation : le gouvernement britannique (symbolisé par l’excellent Eddie Marsan) charge le chef d’une unité de mercenaires officieuse (Cary Elwes, flegmatique) de récupérer une mystérieuse marchandise volée après une attaque dans un laboratoire, et remise en vente sur le marché noir au prix de 10 milliards de dollars. Le musclé Owen Fortune (Statham, flegmatique) mène l’opération avec quelques pros du piratage et du tir à distance, et remonte la trace du trafiquant d’armes Greg Simmonds (Hugh Grant, fleg… bon, vous avez compris le deal), qu’il décide d’approcher sous couverture en utilisant son point faible : son amour du cinéma et en particulier de la star hollywoodienne Danny Francesco (le revenant Josh Hartnett)…

« Ce sont ses personnages et les acteurs que le metteur en scène rassemble qui procurent l’essentiel du plaisir de cette escapade. »

À première vue, Opération Fortune a peu à voir avec les films de gangsters alambiqués qu’affectionne Guy Ritchie. Le réalisateur s’aventure (mais pas pour la première fois) dans le divertissement opulent, s’amusant à dépeindre le luxe délirant dans lequel baignent ses barbouzes, qui veulent bien sauver le monde, mais ne voyagent qu’en jet privé et sirotent des grands crus dans des palaces exotiques. Ce serait mentir de dire que sa patte y apparaît moins évidente, et pourtant : ce sont ses personnages et les acteurs que le metteur en scène rassemble qui procurent l’essentiel du plaisir de cette escapade. Si Statham sort rarement de sa zone de confort de cogneur bien sapé, ses camarades de jeu s’en donnent eux à cœur joie. Aubrey Plaza, hackeuse de charme surqualifiée, vole les scènes où elle apparaît presque aussi souvent que Hugh Grant, plus à l’aise ici que dans le ratage The Gentlemen. Il campe un Simmonds affreusement sympathique, filou égotique qui sait toujours tirer profit de la situation même quand elle semble lui échapper.

L’abattage du casting devient d’autant plus évident dans les scènes d’action, pas vraiment marquantes sauf quand elles servent à souligner le détachement pince-sans-rire de ses héros. Comme s’ils étaient eux-mêmes au courant que ce genre d’histoire à base de McGuffin diabolique (ici une arme capable de pirater tous les réseaux), d’infiltration chez des vilains milliardaires à la James Bond et de compte à rebours final était mille fois vu, et avaient la certitude de s’en sortir sans une égratignure et un verre de champagne à la main. Cela n’excuse certes pas le manque de surprise (appelez ça de la paresse si vous voulez) qu’offre Opération Fortune, qui s’essouffle nettement dans son dernier tiers. Mais cette étrange et volontaire décontraction vaut au moins au film de garder son capital sympathie, le temps qu’il s’autodétruise dans notre mémoire.