The Loved Ones : devine qui vient dîner ce soir
Une petite perle venue d’Australie : The Loved Ones marque la rencontre survoltée et saignante entre Carrie, Rose Bonbon et Wolf Creek.
À chaque fois que l’on pense être arrivé au terme de la nauséabonde vague du torture porn, une autre série Z surgit au détour d’un linéaire. La jaquette promet à des spectateurs visiblement en mal de sensations fortes des heures de souffrance totalement gratuites, interprétées par des comédiens pour qui les mots « art » et « dramatique » doivent être aussi compliqués à assimiler qu’une notice de broyeur d’évier écrite en chinois. En un mot comme en cent, le genre n’aurait même pas dû exister en tant que tel, puisqu’il n’obéit pas, comme le survival, le film de maison hantée ou de possession, à des codes, mais à une mode, un choix de représentation de la violence, où l’histoire devient un prétexte plus qu’un contexte. Cela paraît fumeux, mais la distinction est importante lorsqu’il s’agit de définir un film comme The loved ones, que l’on voudrait classer hâtivement dans cette infamante sous-catégorie du film d’horreur, sans prendre en compte ses indéniables et multiples qualités.
Bal à trois
Le film, réalisé en 2009 mais seulement sorti en 2011 en France, et directement en vidéo, nous vient d’Australie. Tout comme Wolf Creek, auquel on pense beaucoup, ne serait-ce que par ses paysages d’outback créant un espace fictionnel à cheval entre la rassurante familiarité de ses banlieues et l’inquiétante étrangeté de sa campagne décharnée, parsemée de lignes bitumées tout aussi propices à l’irruption de la sauvagerie. Comme dans Wolf Creek, la province reculée dans laquelle se déroule l’histoire de The Loved ones abrite un (voire deux) croquemitaine caché derrière une affable apparence.
Là où le premier film de Sean Byrne (The Devil’s Candy) intrigue vraiment, c’est dans la nature de ce personnage. Lola est une adolescente, ni vraiment jolie ni vraiment moche, que l’on devine exclue et solitaire. Elle prend une longue respiration avant d’aller, à la fermeture du lycée, demander au beau ténébreux Brent, de l’accompagner au bal de fin d’année. Brent ayant déjà une date, il refuse, laissant Lola seule et désemparée. On le sait dès la lecture de l’affiche, Lola « n’aime pas qu’on lui dise non », et avec l’aide de son père, bien plus patibulaire, elle kidnappe Brent et l’emmène dans leur maison isolée, pour un bal à trois particulièrement douloureux, comme si la scène du repas de Massacre à la tronçonneuse se voyait étendue à l’échelle d’un film.
« Le film est plein de ces artifices de scénario impeccablement huilés, relançant la machine à intervalles réguliers. »
Lorsque le calvaire de notre héros (littéral dès lors que Brent se retrouve « cloué » au plancher de la maison) commence pour de bon, Byrne a déjà établi l’ambiance et l’atmosphère à part de The Loved Ones. L’attention portée aux regards, à la composition des cadres, l’importance significative et signifiante des couleurs, la gestion pleine d’assurance de la bande-son, bref, cette importance qui est donnée au style et à la substance de ce qui est avant tout un tour de montagnes russes, suffit à le démarquer de la masse des shockers sans imagination.
La nuit de tous les mystères
Surtout, le soin apporté à la caractérisation des personnages permet de faire oublier les rebondissements les plus mécaniques (tentatives d’évasion, officier de police lancé sur les traces du disparu, etc.). Brent, d’un côté, est un ado suicidaire car marqué à jamais par la mort de son père dans un accident de voiture, alors que lui était au volant. Comme un présage de sa douloureuse nuit à venir, il s’isole dans une séquence au bord d’une falaise, prêt à faire le saut de l’ange, avant que son pied ne dérape, et que l’adrénaline ne lui rappelle à quel point son envie de (sur)vivre reste bien réelle. À l’inverse, Lola est complètement déconnectée de la réalité. Toute de rose vêtue, les yeux brillants d’une folie meurtrière ne demandant qu’à éclater, elle semble à la fois sortie de Twin Peaks et d’un film de John Hugues, comme si Laura Palmer avait débarqué dans l’univers acidulé de Breakfast Club. L’affiliation est accentuée par un montage parallèle suivant la soirée de biture de Jamie, l’ami de Brent, et de la mystérieuse Mia. Une nuit de débauche classique et joviale, que l’on pense d’abord futile, avant qu’une révélation fasse in fine fusionner les deux intrigues et donne plus d’ampleur au drame qui se joue devant nous.
Le film est plein de ces artifices de scénario impeccablement huilés, relançant la machine à intervalles réguliers (évitez d’ailleurs de vous spoiler avec la bande-annonce), construisant pour chaque protagoniste un cheminement émotionnel logique et ouvert à l’interprétation – la relation quasi incestueuse entre Lola et son père est à ce titre très bien rendue par leurs étonnants interprètes, Robin McLeavy et John Brumpton. Qu’importe si le métrage sacrifie dans sa dernière bobine aux figures imposées du genre, et s’autorise quelques afféteries stylistiques trop appuyées : avec son mélange de paillettes et de sang coagulé, de spleen adolescent et de survival claustrophobique, Sean Byrne a signé une graine de film culte. Le genre d’objet, finement et amoureusement ciselé, un peu fou mais unique, qui devrait faire office de norme plutôt que d’exception.