Touristes : criminellement drôle

par | 26 septembre 2022

Touristes : criminellement drôle

Après Kill List, Ben Wheatley tapait avec Touristes dans l’humour noir, pour la virée pathétique d’un couple d’amants criminels dans la province anglaise.

Avec Touristes, Ben Wheatley (réalisateur de Kill List, High Rise ou encore Free Fire) rompait en 2012 avec sa tradition rapidement établie, celle d’être le co-auteur (avec sa compagne, Amy Jump) de tous ses scénarios. S’il a apporté quelques retouches au script, Touristes reste essentiellement l’œuvre de ses deux acteurs principaux, Alice Lowe et Steve Oram, qui ont rodé leurs personnages et leur univers particulier sur scène et dans un court-métrage. Ils incarnent respectivement Tina, une vieille fille sous l’emprise de sa tyrannique mère, et Chris, beauf rouquin sans beaucoup d’imagination vestimentaire, qui l’arrache à sa vie de recluse soumise. Amoureux comme s’ils avaient quinze ans, Tina et Chris s’échappent en caravane pour découvrir l’Angleterre profonde, la campagne du Yorkshire et des musées improbables. Cependant, leur relation, placée sous le signe du sexe sauvage et d’années de frustrations accumulées, aussi bien professionnelles que psychologiques, finissent par faire dégénérer le voyage : les gêneurs, les importuns, tout ce qui contrarie les deux amants connaissent un sort funeste…

Les tueurs du Yorkshire

Touristes : criminellement drôle

Le thème des amants criminels n’a bien sûr rien de nouveau. Bonnie & Clyde et Tueurs-nés sont autant de jalons qui ont marqué l’histoire du cinéma, mais Tina et Chris n’ont ici rien de serial killers romantiques ou de truands flamboyants. Sans jamais verser dans une condescendance déplacée, Wheatley se tient malgré tout à hauteur de ses personnages, couple pathétique, mesquin et caractériel ne voyant son prochain que comme un nouvel obstacle à son épanouissement personnel. Il est vite acquis que Chris n’a pas attendu sa muse pour jouer les tueurs du dimanche, et qu’il voit ses actes comme de purs actes d’utilité publique. Un couple de campeurs leur « vole » un emplacement, un touriste parle trop fort ? Chris les élimine, sans ménagement. La dynamique du récit vient de l’évolution du personnage de Tina, naïve et hébétée, qui s’embarque dans cette aventure essentiellement pour défier sa mère et découvre que son chéri est un rustre fini, insensible au charme de ses culottes coquines. Contre toute attente, Tina affirme sa personnalité en se « salissant » elle aussi les mains, traduisant son besoin de compétition par des meurtres de plus en plus gratuits.

« Le film est, avant toute chose, une véritable pépite
dopée à un humour très noir. »

Énoncée de cette manière, l’histoire de Touristes paraît glauque et peu attirante. Le film est pourtant, et avant toute chose, une véritable pépite dopée à un humour très noir, qu’il s’agisse de se remémorer le funeste destin du chien de la mère de Tina, des musées ridicules et pourtant bien réels que le couple visite (celui du crayon, à Keswick, vaut son pesant de mines) ou des raisons absurdes amenant chaque victime des amants à être éliminée de manière spectaculaire et cartoonesque. Wheatley montre pour l’occasion une véritable compréhension du timing comique, qu’on ne soupçonnait pas à la vision des très sérieux Down Terrace et Kill List. Les dialogues millimétrés, les répliques vachardes enchaînées à la perfection sont le résultat des années de travail des deux comédiens-scénaristes, bien entendu parfaits dans leurs joggings respectifs.

Là où Touristes acquiert une dimension spéciale, éminemment cinématographique, c’est dans le traitement là encore fascinant des images composées par Wheatley. Silhouettes dérisoires face à la rudesse impressionnante des paysages britanniques, nos tueurs semblent devant sa caméra devenir l’expression d’un mal-être bien contemporain, un sous-texte qui apparaît notamment dans le besoin compulsif de réussite de Chris, qui se prend de passion pour le projet d’un inventeur écolo circulant dans un « carapode » – une espèce de vélo-tente-cercueil dans lequel on n’imaginerait pas voyager une seconde. L’envie, la jalousie maladive et la haine ordinaire poussée à chaque étape à son paroxysme aboutissent à un dénouement aussi cruel que logique, dernière pirouette symbolisant à merveille le triomphe de l’individualisme à tout prix dans une société impitoyablement compétitive. Drôle de morale pour un drôle de film.