Pinocchio : retour aux sources du conte
Adaptant fidèlement le texte de Collodi, Matteo Garrone signe un Pinocchio esthétiquement marquant mais manquant de liant et de chaleur.
Personnage parmi les plus célèbres, si ce n’est le plus célèbre, de la littérature italienne, Pinocchio ne peut rester longtemps remisé sans qu’un cinéaste ne cherche à proposer sa propre version de l’histoire. Guillermo del Toro s’y frottera bientôt sur Netflix, mais avant cela, c’est le cinéaste célébré Matteo Garrone, rare exemple d’artiste contemporain italien réussissant à marier ambition auteuriste et succès populaire, qui ajoute son nom à la liste, avec l’ambition non feinte d’illustrer plus fidèlement que ses prédécesseurs le conte imaginée par Carlo Collodi. Faire oublier dans l’imaginaire collectif le dessin animé des studios Disney ou la série de Luigi Comencini dans les années 70 n’était pas une chose aisée. Surpasser la fatigante version de 2002 incarnée par un Roberto Benigni alors au fait de sa popularité l’était déjà plus : signe du destin, c’est l’acteur-réalisateur de La Vie est belle qui se voit confier cette fois le rôle du menuisier Gepetto, artisan donnant vie, au cœur d’une Toscane dépeinte comme un Eden peuplé de désœuvrés, à un pantin de bois doté de vie. Ce Pinocchio version 2019, qui prolonge comme une évidence le travail plastique de Garrone sur Tale of Tales, donne bien l’impression de redécouvrir cette histoire que l’on pensait connaître par cœur. Mais nous touche-t-elle justement autant au cœur qu’elle devrait ?
Un petit garçon qui rêvait d’aventure…
Parce qu’il peuple souvent ses films de héros projetés dans un parcours initiatique qui met à l’épreuve leur innocence autant que leur inconscience (voir Gomorra et son récent Dogman), Garrone ne pouvait qu’être dans son élément pour traiter au premier degré, et dans l’intention déclarée de plaire à un jeune public, l’univers du conte de Collodi. Pinocchio ne cherche jamais à prendre une quelconque distance avec son matériau et traite cet univers avec une forme de réalisme magique presque désarçonnant dans son emploi systématique de trucages à l’ancienne, à peine rehaussés lorsque nécessaire par des effets numériques. La marionnette en titre est un bon exemple de cette approche du « tout tangible » déjà employée avec succès sur Tale of Tales : le jeune Federico Ielapi est passé par plusieurs heures de maquillage quotidien pour ressembler à un pantin de bois conversant dès les premières minutes avec un Benigni-Gepetto sachant titiller avec parcimonie notre corde sensible. A l’écran, l’effet est particulièrement réussi, et justifie après coup le déferlement de créatures fantastiques que croise Pinocchio dès qu’il fuit son petit village natal. Si l’inquiétant duo du Renard et du Chat verse plutôt dans le minimalisme, contrebalancé par un jeu d’acteur tout en yeux exorbités, Garrone n’hésitera pas ensuite à mettre en scène un juge singe, une matrone escargot ou un thon adipeux avec tout le latex qui s’impose.
« L’admiration pour un travail bien fait est là, la profondeur d’interprétation et l’émotion un peu moins. »
Dans ce film qui se veut enfantin, simple d’accès, mais qui ne se dépare jamais de sa dimension décalée, grotesque et volontiers revêche (il n’est pas interdit d’imaginer que Garrone apprécie le travail de Terry Gilliam), l’onirisme n’est jamais loin du cauchemar. L’insouciance y côtoie les punitions divines réservées à un enfant qui apprend à la dure à ne pas faire confiance aux fées, aux faquins et aux bienfaiteurs auto-déclarés. Pinocchio rêve d’être un enfant comme les autres et tous les petits garçons veulent s’amuser, n’en faire qu’à leur tête et mentir à leurs parents (le nez qui s’allonge est ici une péripétie vite oubliée, plutôt que d’être ce totem visuel qui résumait l’intégralité du personnage dans notre esprit). Garrone se charge de rappeler que cette inconscience a un prix : on souhaite bonne chance aux parents qui devront endurer avec leurs petiots l’épisode des enfants transformés en ânes de cirque, ou celui où Pinocchio est pendu à un arbre pour qu’on lui vole ses quelques pièces. Ces péripéties, traitées comme toutes les autres avec un soin évident (et un sens aiguisé du cadrage ou mouvement de caméra qui tue), s’enchaînent toutefois avec un détachement et un manque de liant, qui finit par peser sur l’audience adulte que nous sommes. Jamais aussi terrible et politique que Tale of Tales (ce n’est pas son but), jamais assez merveilleux pour un public enfantin (quoique, sommes-nous les meilleurs juges pour en parler ?), Pinocchio s’accroche à une approche programmatique, presque sentencieuse, qui nous interdit presque d’être happé par son imaginaire délirant et coloré. L’admiration pour un travail bien fait est là, la profondeur d’interprétation et l’émotion un peu moins. A part peut-être quand l’étincelle d’une paternité jamais espérée et d’autant plus puissante apparaît dans l’œil humide de Roberto Benigni. Qui lui a vraiment réussi pour le coup à corriger l’Histoire en jouant dans un « bon » Pinocchio…