L’idée généralement associée aux films de science-fiction est que le genre coûte cher. C’était sans doute vrai il y a encore quinze ans. Mais la démocratisation progressive des outils de production cinématographique, à tous les niveaux (matériel de tournage, de montage, de création d’effets spéciaux, puis de post-production et de distribution), le fait que tous les appareils, logiciels et réseaux de financement soient à la portée de n’importe quel artiste motivé et compétent, ont changé la donne ces dernières années, au point que l’on peut légitimement parler désormais d’une vague de films « SF lo-fi », à faible budget, mais dotés de grandes ambitions.
Les débrouillards de la science-fiction
Cette vague n’a de cesse de faire parler d’elle, ne serait-ce que parce qu’elle sert de rampe de lancement pour des cinéastes en herbe catapultés aux commandes des plus gros blockbusters hollywoodiens, comme Gareth Edwards (Godzilla), Neil Blommkamp (Elysium) ou prochainement Colin Trevorrow, chargés de nous emmener à Jurassic World et Duncan Jones, qui adapte sans peur l’univers de Warcraft. Et si ces petits débrouillards parfois tout juste trentenaires se voient offrir les clés de l’usine à rêves hollywoodienne, ce n’est pas un hasard : ils démontrent, souvent dès leur premier film, une capacité à transcender les limites budgétaires de leur production sans pour autant brider leur imagination ou faire de compromis.
[quote_center] »Si ces petits débrouillards parfois tout juste trentenaires se voient offrir les clés de l’usine à rêves hollywoodienne, ce n’est pas un hasard. »[/quote_center]
Si l’on devait désigner un précurseur à cette « mode », ce pourrait être Shane Carruth (le Canadien Vincenzo Natali pourrait également prétendre à ce titre avec Cube). Il signe en 2004, avec un budget dérisoire de 7 000 dollars, le désormais culte Primer, prototype de « hard sci-fi » abordant le thème du voyage dans le temps sous l’angle le plus scientifiquement sérieux qui soit. Aride, mais passionnant, transcendant sans peine son absence de financement en misant tout sur le réalisme et la complexité de son scénario (qui suscite encore aujourd’hui des débats sans fin), Primer fait un tabac dans les festivals, et s’impose dans les esprits au bouche-à-oreille.
Petits moyens et grandes idées
Dans les années qui vont suivre, les exemples marquants du genre vont être pour une bonne part des petites ou moyennes productions, comme Moon, District 9, l’hispanique Chronocrimenes, Monsters, Another Earth, Chronicle, ou plus près de nous, Safety not guaranteed (officiellement inédit chez nous malgré une diffusion récente sur OCS) et Her. Très médiatisés pour leurs qualités narratives, plastiques et thématiques, ces longs-métrages ne forment pourtant presque que la partie émergée de l’iceberg. Un coup d’œil attentif aux exhaustives programmations des festivals, spécialisés ou non (Sundance et les sélections parallèles de Cannes ou Venise sont de plus en plus ouverts au genre), permet de se rendre compte à quel point les auteurs modernes aiment s’emparer du genre et de ses composantes (construction d’une société ou d’une technologie imaginaire, questionnements scientifico-philosophiques, imagerie clinique ou futuriste) pour le tordre à leur façon, en lui donnant une patine « indé », et en usant de mille stratagèmes pour compenser la rareté des effets spéciaux. C’est sur le marché de la vidéo que se retrouvent disponibles ces productions, nommées Extracted, Time Lapse, Shuffle ou encore The Machine, sorti en vidéo en juin dernier.
Il serait vain d’énumérer tous les projets en cours de réalisation dans ce genre bouillonnant d’idées et de propositions originales. Ceux-ci se montent d’ailleurs souvent sous le radar, prenant généralement le public par surprise lors des premières projections, souvent suivies d’un buzz viral sur Internet. Nous avons choisi de mettre en avant cinq d’entre elles, pour certaines déjà très attendues. Une chose est sûre : vous en entendrez très rapidement parler.
The Signal
C’est le titre le plus emblématique du lot. Le film qui prouve que la clé de la réussite réside à la fois dans une technique sans faille (très utile si vous voulez marquer les esprits dès la vision du trailer) et une volonté de chambouler les codes narratifs habituels : en clair, il faut stimuler la curiosité du spectateur, pour lui offrir quelque chose auquel il ne s’attend pas. The Signal, deuxième long-métrage de William Eubank, réussit la gageure de réactiver le sous-genre du film de contagion technoïde, avec vingt fois moins d’argent que le médiocre Transcendence. Eubank, qui a fait ses débuts dans la réalisation en concevant une navette spatiale avec des rampes de skate-park fixées l’une à l’autre (c’était pour Love, retitré Space Time : L’ultime Odyssée chez nous), n’a eu besoin que de 4 millions de dollars pour raconter son histoire, qui suit deux petits génies du piratage, Nick et Jonah, dans leur road-trip au Nouveau-Mexique. Trop curieux, les deux amis s’aventurent dans une zone interdite, au cœur de laquelle Nick est enlevé. Lorsqu’il se réveille, celui-ci découvre qu’ils ont mis les pieds dans un complot qui les dépasse.
Tourné sur place dans les environs d’Albuquerque (pas loin des plateaux de Breaking Bad), The Signal, présenté en grandes pompes à Sundance, serait selon son auteur sous influence de La quatrième dimension, Akira, Le magicien d’Oz… et de Platon. Déroutant et ayant l’air d’avoir coûté cinq fois plus que son budget (Eubank a même réussi à se payer une vedette, Laurence Fishburne, pour jouer le grand méchant de l’histoire), le film risque surtout de marquer les esprits par son imagerie particulièrement soignée. Pas de date de sortie annoncée en France, malheureusement.
I, origins
Mike Cahill n’est, à ce stade, plus un inconnu pour les cinéphiles. Avec son incontournable partenaire Brit Marling, le réalisateur s’est fait remarquer en 2011 grâce à l’intimiste Another Earth, chronique amoureuse où l’argument SF (l’apparition d’une autre Terre visible à l’œil nu dans le ciel) faisait avant tout office de toile de fond. Le duo se reforme cette année à l’occasion de I, origins, là encore une histoire d’amour à vocation existentielle, où la science vient se mélanger à la spiritualité. Michael Pitt (Funny Games) incarne aux côtés de Marling un biologiste moléculaire fasciné par l’œil humain, et dont les convictions sont ébranlées lorsqu’il s’aperçoit qu’une fille en Inde possède un iris identique à celui de sa défunte petite amie. Une coïncidence pourtant impossible scientifiquement…
Comme avec Another Earth, Cahill a réalisé ce I, origins aux atours pourtant luxueux avec les moyens du bord : tournant dans les appartements de ses amis ou des labos en déshérence à New York, il a préféré mettre une partie de ses moyens dans de spectaculaires plans de foule tournés en Inde. Que l’on adhère ou non au ton philosophico-sentimental de son écriture, le résultat semble à la hauteur de ses efforts.
Coherence
Entraperçu au festival de Gérardmer 2014 (où il a été projeté en VO non sous-titrée !), Coherence, au vu de ses images, ne paie pas de mine. À l’instar du méconnu The man from Earth, ce premier film de James Ward Byrkit a choisi la bonne vieille méthode des trois unités théâtrales (un seul lieu, peu de personnages, une courte période de temps) pour compenser sa quasi-absence d’équipe technique et de moyens. Le casting, dominé entre autres par un comédien bien connu des fans de Buffy contre les vampires, Nicholas Brendon, a dû également improviser une partie de ses dialogues, ce qui ne devait pas être aisé vu que Coherence parle en définitive… d’univers parallèles.
L’histoire se déroule en effet durant un dîner entre amis, bientôt perturbé par le passage d’une comète, qui entraîne une soudaine coupure de courant. Découvrant qu’une maison voisine a encore ses lumières allumées, quelques convives décident d’aller sur place… et se retrouvent devant l’exacte même maison ! Comme souvent, le spectre de la Twilight Zone plane sur cette histoire prometteuse, dont les premiers échos critiques anglo-saxons, en attendant que la France en profite, se sont révélés plus que positifs.
Monsters : Dark Continent
Difficile de passer à côté de Godzilla cette année, tant le mastodonte revivifié par la Warner a su faire parler de lui. C’est le film de la consécration pour le petit génie des effets spéciaux Gareth Edwards, qui avait soufflé son monde dès son premier long, Monsters, mélange bluffant de tournage guérilla et de SFX digitaux littéralement faits maison. Nouvelle star du genre, Edwards a gardé un poste de producteur exécutif sur la suite de son long-métrage, Monsters: Dark Continent, certes mieux dotée financièrement que son prédécesseur, mais résolument modeste malgré tout. Une chance de briller a été donnée à un autre cinéaste débutant, le Britannique Tom Green, jusqu’alors connu avant tout pour son travail sur Misfits. Tourné en 2013 à Détroit et au sud de la Jordanie, là même où David Lean avait filmé son Lawrence d’Arabie, Monsters 2 échange la jungle du premier opus contre le désert du Moyen-Orient. C’est là que de nouvelles créatures extraterrestres apparaissent, déclenchant une nouvelle guerre à laquelle participent nos nouveaux héros, des soldats dépassés et apeurés joués entre autres par Joe Dempsie (Game of Thrones) et Johnny Harris (Welcome to the punch).
Avec la modestie qui s’impose, les producteurs de Vertigo Films comparent cette séquelle inhabituelle (le lien avec Monsters reste très ténu, le design même des créatures ayant évolué) à un Démineurs peuplé d’aliens, ce qui s’avère par ailleurs être une description très alléchante. Premiers verdicts attendus en septembre, date de sortie anglaise prévue de ce Monsters : Dark Continent.
Afflicted
Trichons un peu pour finir avec les définitions du genre, puisque Afflicted, film de contagion par essence, penche en partie vers l’horreur dans sa deuxième partie. Ce film canadien repose totalement sur les épaules de deux potes, Derek Lee and Clif Prowse, qui sont à la fois les auteurs, réalisateurs et comédiens principaux de ce found footage plus malin que la moyenne, remarqué à Toronto où il a reçu le prix du meilleur premier film. Avec les moyens du bord (quelques emprunts à des amis et à la famille, en gros), Lee et Prowse sont partis filmer un Euro Trip partant horriblement en vrille, jouant deux amis, dont l’un souffre d’une maladie cérébrale, qui visitent les grandes capitales du continent. Malheureusement, l’ami Derek contracte bientôt une maladie mystérieuse, qui transforme le souvenir vidéo-filmé en devenir en chronique sous haute tension d’une mutation improbable et terrifiante.
Considérant le budget qui était à leur disposition, Afflicted, dès son impressionnant trailer, sort clairement du lot des affligeants found footage pullulant sur le marché de la vidéo. Dans un style qui n’est pas sans évoquer un Chronicle sous amphétamines, le duo canadien a redoublé d’imagination pour offrir un concentré de séquence choc projetant pour une fois le spectateur au cœur de l’action sans lui donner constamment envie de vomir. Sorti en avril en Amérique du Nord, Afflicted attend encore son heure de gloire sur notre vieux continent. Mais pourquoi ?!