Private Life : parents à tout prix
Paul Giamatti et Kathryn Hahn incarnent avec talent deux quarantenaires qui désespèrent d’avoir un enfant dans le doux-amer Private Life.
Parce qu’ils se sont aperçus un peu tard que « le navire larguait les amarres pour toujours » et qu’ils désiraient avoir un enfant plus que tout, Richard (Paul Giamatti) et Rachel Grimes (Kathryn Hahn) se sont lancés la quarantaine passée dans une course contre la montre pour mettre au monde leur progéniture. Le couple de New-yorkais de Private Life, troisième long-métrage en vingt ans pour la réalisatrice Tamara Jenkins (La Famille Savage), est lorsqu’on le découvre en plein milieu d’une aventure qui n’a de romantique que l’objectif. Ce que la cinéaste filme, c’est le dénuement presque mortifiant des cliniques et cabinets de gynécologie où le couple Grimes passe ses journées à passer des tests et, pour Rachel, à subir des piqûres et interventions répétées pour réussir, enfin, une fécondation in vitro.
Montagnes russes émotionnelles
Chirurgical et caustique par défaut, le premier acte nous fait d’abord croire que cette production passée par Sundance et New York contera, à travers le prisme de ces deux personnages pas loin d’être une caricature d’intellos (très) bohème – lui est un auteur de théâtre, elle une écrivaine -, le dérèglement d’un monde où la science a empiété par nécessité sur l’intimité de l’acte le plus naturel du monde. On saisit dans ces moments l’ironie douce-amère du titre, la Private Life des époux Grimes étant phagocytée par cette obsession familiale qui menace d’annihiler leur complicité. Mais bien vite, il apparaît que les tribulations médicales visuellement dépressives du couple n’est pas la seule sphère narrative explorée par Jenkins. Richard et Rachel mènent deux « batailles » de front, puisqu’ils se sont aussi lancés dans une procédure d’adoption. Cette voie-là sonne comme un pis-aller dans leur périple, notamment parce qu’elle est au centre d’une déchirante scène de flash-back, qui met en exergue plus qu’aucune autre la détresse qui sous-tend cette démarche. Enfin, et c’est sans doute là qu’intervient la partie la plus « légère » et attendue du film, le couple héberge la nièce par alliance de Richard, Sadie (Kaylie Carter), éternelle étudiante adorable mais qui se cherche encore, et accepte à leur grande surprise de leur faire don de quelques ovocytes. Cela ne va pas sans causer quelques soucis dans la famille étendue des Grimes, notamment lors d’un repas de Noël proprement hilarant.
C’est cette alternance entre gravité, rigueur quasi-documentaire et saillies comiques assumées, cette maîtrise et cet équilibre dans la peinture d’une fuite en avant d’autant plus touchante qu’elle n’est jamais traitée avec condescendance, qui fait toute la réussite de Private Life. Le film connaît quelques passages à vide et redondances, s’éparpillant dans sa deuxième heure dans son éventail de personnages secondaires (Molly Shannon est nickel en mère déphasée, mais elle semble parfois appartenir à un autre film), alors que le cœur battant du long-métrage est bien l’épatant duo formé par Giamatti et Hahn. Le rôle de presque quinqua amoureux, las et angoissé par la perte symbolique de sa virilité va comme un gant à Giamatti, tandis que Hahn, force comique aperçue dans des succès comme Bad Moms, hérite d’un rôle complexe de wannabe mom esclave de ses traitements et des montagnes russes émotionnelles qui en découlent. Elle est aussi juste que son compère, et il est impossible de ne pas vouloir, en les voyant passer par tous les états (parfois littéralement) pour redonner un sens à leur vie, leur confier les clés du bonheur du monde.