Ravage : chaos esthétique et vide narratif

par | 13 mai 2025 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

Ravage : chaos esthétique et vide narratif

Repoussé depuis 2021, le Ravage de Gareth Evans répond autant aux attentes en matière qu’action qu’il déçoit… sur tout le reste.

Devenu, depuis la fin de son tournage en 2021, l’une des arlésiennes de Netflix à force d’être repoussé aux calendes grecques (les grèves à Hollywood et de difficiles reshoots sont passés par là), Havoc, devenu Ravage en VF, ne pouvait que faire saliver ceux qui suivent la carrière de Gareth Evans. Le cinéaste gallois a en effet marqué au fer rouge le genre du film d’action il y a déjà presque 15 ans, avec le choc The Raid puis The Raid 2 trois ans plus tard. Du cinéma à la fois ultra-brutal et virtuose dans sa manière de cadrer, rythmer et sublimer ses nombreux combats et fusillades. Après ces deux coups d’éclat indonésiens, pourtant, Evans s’est tourné vers le petit écran pour y accoucher d’un film d’horreur, le tout aussi impitoyable Le bon apôtre sur Netflix, puis de la série britannique Gangs of London. Une histoire, classique et parfois confuse, de clans mafieux qui s’entredéchirent, électrisés une nouvelle fois par des scènes d’action d’une terrifiante efficacité. Ravage, bien que situé dans une métropole américaine sans nom, poursuit dans cette veine de polar hard-boiled, et substitue au policier et artiste martial des The Raid, Iko Uwais, le massif et bougon Tom Hardy, ici à mille lieues des pitreries de sa trilogie Venom.

Au royaume du déjà-vu

Ravage : chaos esthétique et vide narratif

La star de Mad Max Fury Road joue Walker, un ripou tellement au bout du rouleau qu’il se balade la tête basse et le dos vouté, comme si le poids de ses fautes écrasait sa colonne vertébrale. Avec sa nouvelle coéquipière Ellie (très convaincante Jessie Mei Li, vue dans la série Shadow & Bone), il doit enquêter au moment de Noël sur un deal de drogue qui a très mal tourné et laissé une dizaine de victimes sur le carreau. Le principal suspect, Charlie (Justin Cornwell) qui a pris la fuite avec sa petite amie, n’est autre que le fils du maire Lawrence (Forest Whitaker), en pleine campagne pour sa réélection. Lawrence sait tout des crimes que Walker a commis en son nom, et obtient de lui qu’il retrouve son fils et le mette à l’abri. Mû par le désir d’en finir avec cette double vie qui lui coûte sa famille, Walker part en mission, alors que ses propres collègues, tout aussi corrompus, comme Vincent (Timothy Olyphant, sous-employé) et la cheffe de la triade meurtrie par la fusillade, sont aussi à la poursuite de Charlie…

« Si Evans a une réputation à tenir, c’est celle d’être un orfèvre
du chaos et de la violence qui fait mal. » 

Dire que le scénario de Ravage, imaginé par Evans, ne brille pas par son originalité est un euphémisme. C’est même plus que ça : il y a quelque chose de fascinant à voir débouler en 2025 une histoire aussi basique et mille fois rebattue, si linéaire et dénuée de surprises qu’elle pourrait tout aussi bien avoir été générée par ordinateur. De la part d’un cinéaste qui avait peaufiné jusqu’à l’excès le script ambitieux et feuilletonnant de The Raid 2, cette raideur narrative a de quoi surprendre et décevoir. D’autant qu’elle s’accompagne, dans la première moitié du film, d’un bon nombre de raccourcis et de déséquilibres criants, vestiges de sa gestation douloureuse. La personnalité de Charlie et de sa copine, par exemple, est à peine abordée, alors que leur sauvetage est l’enjeu principal de Ravage. Les motivations de Lawrence et du gang de Vincent sont elles aussi effleurées plus qu’approfondies : le film s’accroche pour l’essentiel aux basques de Walker, un rôle qui va certes comme un gant à l’intimidant acteur britannique, mais dont les tourments et la personnalité (jusqu’à sa relation, en mode buddy movie, avec la débutante Ellie) font là aussi dans le copier-coller et le déjà-vu.

La furia du Gallois

Ravage : chaos esthétique et vide narratif

Il serait toutefois illusoire de penser que les abonnés Netflix qui découvriront Ravage lanceront le film pour ses promesses d’épaisseur dramaturgique ou pour la richesse de ses dialogues. Le titre est après tout déjà un programme, une note d’intention, et si Evans a une réputation à tenir, c’est celle d’être un orfèvre du chaos et de la violence qui fait mal. Les vraies stars, ce sont les chorégraphes des scènes de combat, les armuriers et les cascadeurs qui se plient littéralement en quatre pour transformer la moindre altercation en pugilat frénétique et viscéral. Pas pressé de répondre à la demande, Evans prend pourtant son temps avant de laisser parler les armes : le film s’ouvre sur une hideuse course-poursuite automobile tartinée de numérique, aux éclairages de néons dignes d’un jeu vidéo et prend ensuite le temps d’installer ses personnages unidimensionnels. Ce n’est qu’au bout de 45 minutes que Ravage justifie son titre, lors d’une fusillade dans une boîte de nuit d’une intensité démente.

Dans un éclair d’inspiration, Evans laisse de côté les mouvements de grues léchés, les ralentis excessifs et les tentatives peu inspirées de conférer un look de comic book façon Sin City à son film pour retourner aux bases : une caméra scotchée aux coups portés et aux corps qui virevoltent ou heurtent douloureusement le mobilier, une géographie du décor minutieusement exploitée, un travail décisif sur le sound design et un crescendo de violence monté cut qui vise à suffoquer le spectateur. Ce morceau de bravoure est un tel électrochoc au milieu d’un polar qui ronronne pas mal, que Ravage peine à s’en remettre. Il faudra attendre le règlement de comptes final dans une cabane de pêcheur, dont l’absurde férocité évoque le fameux épisode 5 de la saison 1 dans Gangs of London, pour que le film déploie le même sens du spectacle sanglant – l’imagerie utilisée, le décor, les armes ramènent presque ce climax dans le giron du film d’horreur. C’est au moins une promesse que remplit cette production Netflix dont on attendait peut-être un peu trop. Il manque à Ravage un concept inédit, et une histoire dont l’intérêt viendrait contrebalancer l’impression d’assister à une démonstration de force un peu vaine, et sans grosse prise de risque pour son réalisateur.