S’il ne peut revendiquer la même richesse martiale que les plus grands classiques de Bruce Lee, Yuen Woo-Ping et Jackie Chan (les Ong-Bak pourraient aussi être évoqués, s’ils n’étaient aussi répétitifs d’une scène de combat à l’autre), The Raid a toutefois laissé ses marques dans le genre depuis sa sortie en 2011. Après son sympathique, mais très artisanal Merantau, le Gallois expatrié en Indonésie Gareth Evans réussissait à faire éclater le talent d’un artiste martial, Iko Uwais, et la vélocité du silat, sa discipline de prédilection, sur grand écran, en partant d’une idée simple et très évocatrice : plaquer des scènes de combat sur un squelette de film d’action à la Die Hard. Lieu clos, unité de temps, progression calquée sur le principe des jeux vidéos. Sans atteindre pour autant le niveau d’un John Woo (le réalisateur n’a pas le même instinct ahurissant que le Hong-Kongais pour placer ses caméras et en tirer un montage parfait), Evans a livré une série B se démarquant non pas par des chorégraphies extravagantes, mais par une intensité dans les combats, aussi longs que douloureux, quasiment jamais vue sur grand écran.

[quote_center] »Cette recherche constante de l’impact maximal, décuplé par l’incrustation d’effets numériques incroyables et la dévotion des cascadeurs, contribue à faire ressentir viscéralement à l’audience la sauvagerie du spectacle. »[/quote_center]

Le succès aidant, Evans a vendu les droits du film aux Américains pour financer cette inévitable suite, plus ambitieuses sur tous les points, car tirée d’un précédent script que le réalisateur (également scénariste de tous ses films) a voulu adapter à sa saga. The Raid 2 débute donc quelques heures après la fin du premier opus, alors que Rama (Iko Uwais), à peine remis de son combat exténuant contre un immeuble entier de voyous, se fait débriefer dans le secret par son supérieur. Contraint à changer d’identité après s’être ainsi attaqué à un puissant syndicat du crime, Rama devient Yuda, et se fait jeter en prison afin de jouer les taupes auprès d’Uco (Arifin Putra, vu dans Macabre), fils impatient d’un parrain indonésien. Il gagne sa confiance en le sauvant lors d’une rixe générale, et deux ans après (!), entre à son service, tandis que se prépare une sanglante guerre des gangs entre mafieux Indonésiens et Yakuzas, fomentée par l’ambitieux Eka (Oka Antara, à l’affiche de V/H/S 2 et du futur Killers)…

Interminables Affairs

The Raid 2 : baffes à rallonge

Ce simple résumé de The Raid 2 suffit pour réaliser à quel point le type de scénario en ligne droite (ou plutôt en ascenseur) de son prédécesseur a été laissé au placard. Impossible de reprocher à Evans d’avoir fait le choix de la différence : autant The Raid était ramassé, monochrome, revêche et sans temps mort, autant The Raid 2 s’avère fastueux, coloré, sophistiqué, exagérément complexe et délayé à outrance. Le spectateur inattentif aura ainsi beaucoup de peine à démêler les fils d’une intrigue qui se déploie dès les dix premières minutes dans un montage alterné étonnant, où se mêlent différentes temporalités et un nombre incalculable de personnages qui ne sont parfois que mentionnés sans plus de présentation ! Le principal reproche lancé à The Raid 2 est sa longueur (pratiquement 2 h 30) et il n’est pas vain : en déclarant son amour à tout un pan du cinéma mafieux asiatique, des films de Johnnie To à ceux de Kinji Fukasaku en passant par Ringo Lam et Infernal Affairs, auquel on pense souvent, Evans se prend parfois largement les pieds dans le tapis. Il confond longueurs et générosité, créant par exemple de toutes pièces un personnage de clochard-tueur à gages, incarné par Yayan Ruhian (le Mad Dog du premier film, chorégraphe sur les deux opus), totalement inutile à l’intrigue en plus d’y être intégré de façon très maladroite. L’incursion de ce personnage au milieu du film, dont le destin est émouvant, mais peu attachant, alourdit de 20 bonnes minutes la durée déjà excessive d’un film se rêvant opératique et « complet », à la façon d’un spectacle bollywoodien, alors que ses principaux atouts sont bien à chercher du côté de ses scènes d’action.

Celles-ci, c’est le bon revers de la médaille, se révèlent aussi impressionnantes que prévu, profitant à plein rendement de l’éclatement de l’intrigue pour varier les décors, les configurations et les effets de style. Evans a développé un style caractéristique pour construire ses morceaux de bravoure, préparés avec minutie grâce aux mois d’entraînement de son équipe et à une volonté d’en mettre à chaque fois plein les yeux. Ce style se base d’abord sur l’attente, sur l’étirement d’une situation de tension jusqu’à un point de rupture, l’enchaînement de plans courts cédant alors la place à d’amples plans shootés caméra à l’épaule, se déplaçant à l’unisson des corps frappés, lacérés et projetés en tous sens.

Homérique et viscéral

The Raid 2 : baffes à rallonge

Certes, la réalisation n’échappe pas toujours à la tentation de la shaky cam, particulièrement lors d’un combat dans une rame de métro pratiquement illisible malgré l’utilisation de caméras RED dernière génération, au niveau de détails assez bluffant. Mais cette recherche constante de l’impact maximal, décuplé par l’incrustation d’effets numériques incroyables (les déformations brutales des visages s’effectuent par exemple sans coupe visible) et la dévotion de cascadeurs portant leurs coups pour de vrai pour plus de réalisme, contribue, une nouvelle fois, à faire ressentir viscéralement à l’audience la sauvagerie d’un spectacle conçu comme un lent crescendo martial.

D’une surréaliste confrontation à 1 contre 20 dans un lugubre cabinet de toilettes (c’est la constante des décors utilisés ou construits par Evans et son équipe : tout le pays semble être constitué de bâtiments désertiques, dépouillés quand ils ne sont pas en ruines) à un climax interminable dans une cuisine transformée en banque du sang, en passant par une mêlée très stylisée dans la boue d’une cour de prison, The Raid 2 ne lésine donc pas sur les affrontements et les rafales de coups. Limité dans son jeu dramatique, Iko Uwais a la plus trompeuse des bonnes bouilles : dès qu’il se lance dans ses enchaînements, l’acteur subjugue par sa rapidité, enfonçant portes, murs, mâchoires et thorax avec une détermination qui laisse sans voix. Face à lui, Arifin Putra, qui hérite d’un rôle ingrat, car mille fois vu ailleurs de fils prodigue aux dents longues, imprime l’écran par l’étrangeté anguleuse de son visage, qui navigue avec aisance entre la folie et une pathétique tristesse. Mieux intégré à l’histoire qu’un Rama transparent au point d’être absent pendant une bonne moitié du film, son personnage est sans doute la vraie pierre angulaire de The Raid 2, son seul et quelque peu dérisoire point d’ancrage émotionnel.

Le meilleur pour la fin

The Raid 2 : baffes à rallonge

Car pour le reste, malgré son lot appréciable de scènes d’anthologie (ah oui, il ne faudrait pas oublier le sanguinolent duel à trois entre Rama, Baseball Bat-Man et sa sœur (?) Hammer Girl, dans un couloir rougeâtre qui doit autant à Old Boy qu’à Only god forgives), son intensité constante et son ambiance décomplexée, The Raid 2 ennuie parfois plus qu’il n’épuise, du moins jusqu’à l’entame de sa dernière demi-heure, qui excepté une poursuite automobile sympathique, mais en rien révolutionnaire, constitue un quasi-remake du premier épisode. Là, Evans sait mettre ses ambitions de conteur et ses poses languissantes à la Scorsese en sourdine, pour mettre les bouchées doubles et laisser le spectateur en quête de raclée cinématographique repu. Le film se termine en suspens, comme pour préparer à The Raid 3, censé démarrer là aussi dans la foulée de ce climax.

Quoi que l’on pense de The Raid 2, une chose est sûre : il sera sans aucun doute impossible de voir sa séquelle, d’ores et déjà en pré-production, sur grand écran. L’échec en salles du film, dû à la fois à une sortie tardive et à un piratage massif (la malicieuse campagne virale du distributeur, qui prenait ce fait établi en compte pour inciter les pirates à redécouvrir le film sur grand écran, n’a malheureusement pas eu l’effet escompté), a sans doute condamné pour un temps le genre martial à des sorties en VOD / Blu-Ray. Quand des productions aussi ambitieuses (à défaut d’être parfaites) parviennent enfin à sortir du lot, c’est un constat d’autant plus regrettable à faire.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
The Raid 2 (The Raid 2 : Berandal)
De Gareth Evans
2014 / Indonésie – USA / 150 minutes
Avec Iko Uwais, Arifin Putra, Julie Estelle
Sortie le 16 juillet 2014
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