Il y a bien eu cet indice :  Merantau, petite production indonésienne singeant Ong Bak dans son scénario (petit prodige martial s’en va découvrir la grande ville et fracasser les rotules de tous les voyous), qui révélait à la fois un acteur / athlète charismatique, Iko Uwais, et un réalisateur au CV étrange, Gareth Evans. L’alliance étonnante entre le Gallois expatrié et l’ancien garçon de courses devenu star de cinéma en Indonésie grâce à sa maîtrise de l’art martial local, le silat, a suscité une certaine curiosité parmi les fans de films qui font mal. Rien pourtant ne pouvait présager une réussite telle que The Raid.

L’onde de choc s’est créée dès l’arrivée des premières bandes-annonces, explicitant en quelques images ce pitch simplissime, héritier du jeu vidéo : une escouade de flics doit faire une descente dans un immeuble délabré où un gang de trafiquants de drogue, sous la coupe du sadique Tama, règne en maître. Mais les truands sont au courant de l’arrivée de la petite troupe, et le piège se referme sur nos pauvres troufions, dont le jeune Rama et son supérieur, Jaka, qui doivent survivre à 1 contre 10. The Raid promettait un festival non-stop de combats et de fusillades douloureusement réalistes, incroyablement imaginatifs et shootés avec un sens de l’urgence estomaquant. À l’arrivée, le film tient ses promesses au-delà de toute espérance. C’est bien simple, on avait pas vu de combats cinématographiques aussi impressionnants depuis Drunken Master 2 avec Jackie Chan, il y a de ça… 20 ans.

C’est Noël avant l’heure

Iko Uwais crève l’écran dans la peau de Rama.

Le tandem Evans / Uwais a eu le temps de faire ses gammes avant de s’engager dans cette aventure, d’abord avec Merantau, bien sûr, puis avec la préparation minutieuse des chorégraphies, dont ils sont crédités aux côtés de Yahyan Ruhian (qui joue Mad Dog dans le film, bras droit très inquiétant de Tama). S’il ne réinvente pas la grammaire du 7e art, on sent qu’Evans est plus à son aise que dans son précédent film pour cadrer, souligner et magnifier les rixes d’Uwais and co. En trouvant quasiment à chaque fois l’angle idéal, celui qui amplifie le spectaculaire du coup porté, et en privilégiant des prises longues et des cadrages amples pour faciliter la lisibilité de l’ensemble (oui, il faut bien le souligner, cette évidence étant devenue une véritable exception), Evans confère un cachet, un punch particulier à The Raid, qui en fait une série B instantanément jouissive, participative et profondément cathartique.

Le pitch y est bien sûr pour quelque chose : en convoquant les spectres du meilleur du cinéma d’action américain (Piège de Cristal en tête, mais aussi l’univers violent et désenchanté du Carpenter des débuts, en particulier Assaut) et hong-kongais (le Time & Tide de Tsui Hark est presque cité plan pour plan), The Raid rallie dès ses premières minutes un public captif à sa cause. On connaît les rouages de ce genre d’histoires en huis-clos (un héros seul contre tous au cœur pur, gravement sous-estimé par les méchants ; la taupe qui fait foirer les plans de la police ; le bras droit qui se révèle encore plus méchant que son patron), on les excuse presque quand ils sont repris ici de la plus simpliste des manières. À sa décharge, on peut dire que malgré son côté sophistiqué, apporté par l’unité de lieu et de temps de l’action, The Raid n’est rien d’autre qu’un paquet-cadeau rutilant, qu’on se presse d’ouvrir pour en découvrir la vraie raison d’être : la cogne de compétition. Passé un premier acte qui fait parler la poudre (et pendant lequel on craint, à tort, l’abus de shaky cam), vous en avez pour une heure de poings dans la tronche.

L’onomatopée instinctive du spectateur impliqué

Quand on vous dit qu’il y a des moments WTF dans The Raid…

Il serait vain d’énumérer tous les moments over the top du film, qui ne sont qu’en petite partie révélés par la bande-annonce. Contrairement au muay thai d’Ong Bak, dont on repère tout de suite les particularités (beaucoup de coups sautés, utilisation massive du coude et du genou), le novice aura du mal à déceler les caractéristiques précises de cet art martial très véloce qu’est le silat, à part l’utilisation fréquente de la machette, qui est un peu à l’Indonésie ce que la batte de base-ball est aux Yankees : un prolongement naturel parfait pour l’auto-défense et la justice sauvage. Il y a bien cette confrontation entre Mad Dog et Jaka (Joe Taslim), où silat et judo s’entrechoquent dans un ballet de projections et de clés douloureuses. Mais pour l’essentiel, on est ici dans un territoire martial à la fois familier et « exotique », avec des enchaînements élaborés et directs, se finissant invariablement avec une onomatopée instinctive du spectateur (« Ouch ! » par exemple). C’est rapide, c’est – très – brutal et le film parvient ainsi à se renouveler séquence après séquence, alors que nos héros semblent avoir surmonté le pire (et s’en être tout juste tirés en vie) pour se retrouver face à une nouvelle menace.

On ne spoilera pas les chichiteux en annonçant que la pire d’entre elles se révèle dans les dernières minutes. Un « boss de fin » increvable au centre d’un combat à trois où le spectateur termine aussi exténué que les deux héros. C’est haut la main la séquence la plus sauvage et incroyable qu’on ait vu cette année, et on doute qu’un autre prétendant lui ravisse ce titre. Car, faut-il le rappeler, la grande force de The Raid, c’est qu’il ne comporte pas – ou peu, et ils concernent surtout des choses secondaires comme des explosions de frigos – de trucages par ordinateur. Le film a cet aspect artisanal et instinctif, cohérent avec les moyens précaires qu’utilisent les policiers pour se défendre face aux assauts de la horde lâchée par Tama.

La musique qui fâche

Une chute libre spectaculaire le long d’un immeuble…

Le plaisir pris entre les couloirs de cet immeuble de la mort (hello, Bruce Lee – dont le film posthume semble faire partie des inspirations du réalisateur) fait oublier le caractère assez aride de sa direction artistique, les décors étant réduits à des intérieurs de HLM encore plus décrépis que dans La Horde, et des appartements vides qui ne dépareilleraient pas dans un DTV tchéquoslovaque. Conséquence de l’exploitation internationale du film, la musique de The Raid a également été escamotée, au profit des compositions de Mike Shinoda (de Linkin Park). Inutile de tourner autour du pot : en dehors du thème principal déjà entendu dans le trailer, surexploité à longueur de combats, c’est une sacrée catastrophe, ce qui ne serait pas très grave si elle n’était pas aussi intrusive. Certains moments de tension en viennent même à perdre de leur efficacité, tant Shinoda en reste à la surface des choses, recyclant sans se fouler deux-trois mélodies robotiques et désincarnées. Un « malus point » qui rappelle certains tripatouillages de sinistre mémoire signés Besson…

Ces scories regrettables, auxquelles s’ajoute ce classicisme presque naïf d’une intrigue pourtant appelée à se complexifier (la suite de The Raid : Redemption – c’est son nouveau titre – est d’ores et déjà prévue pour 2013), ne parviennent pas, au final, à entamer le plaisir qu’on prend à découvrir le film d’Evans. Aussi brut de décoffrage soit-il, c’est un jalon majeur du cinéma d’action qui nous est envoyé sans prévenir dans la mâchoire, et une fois n’est pas coutume, c’est sur grand écran que ça se passe. On doute sérieusement que vous y résistiez, et que vous en ressortiez autrement qu’à genoux.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
The Raid
De Gareth Evans
2011 / Indonésie / 101 minutes
Avec Iko Uwais, Joe Taslim, Yayan Ruhian, Pierre Gruno
Sortie le 20 juin 2012
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