Rogue One, c’est l’histoire d’un pari qui ne pouvait être perdu. Lors du rachat médiatisé de LucasFilms par la maison de Disney, l’une des décisions restées le plus en travers de la gorge des fans hardcore de la saga Star Wars concernait l’univers étendu. BD, dessins animés, romans, jeux vidéo, fan fictions, jeux de rôle : de tous ces récits et personnages qui avaient concrétisé le concept de galaxie futuriste esquissée par George Lucas, Disney a souhaité faire table rase. Le LucasFilms génération Kathleen Kennedy est celui de la vénération et de la sacralisation : avec J.J. Abrams à la barre dans la peau du passeur d’obsession, Le Réveil de la Force s’est amusé avec plus ou moins de réussite à mijoter une variation du Nouvel Espoir aussi candide que transparente, y perdant un peu de personnalité dans le processus.
Rogue One, c’est autre chose. C’est le premier long-métrage depuis les aventures pathétiques des Ewoks à être labellisé très officiellement « spin-off ». Mais il ne s’agit pas pour autant d’un film complètement indépendant de la mythologie principale des Star Wars. En fait, le film de Gareth Edwards, catapulté en trois titres au sommet de la pyramide hollywoodienne, est tout aussi assujetti aux événements du Nouvel Espoir, dont il est l’évidente préquelle. Ainsi, Disney fait coup double en programmant ce blockbuster entre deux épisodes « canon » : il s’agit de donner l’illusion au public qu’il va découvrir un univers et des personnages différents, alors que le résultat ne nous dépayse en rien par rapport à ce qui est attendu d’un Star Wars moderne. La seule chose qui manque finalement à l’appel, c’est un duel au sabre laser !
Danger annihilation
A sa manière, Rogue One est lui aussi centré sur une tragédie familiale. L’héroïne, Jyn Erso (la très compétente Felicity Jones) est entrée dans la clandestinité très jeune après la mort de sa mère. Son père, ingénieur au service de l’Empire (Mads Mikkelsen, héros notamment d’un prologue aux accents refniens), est contraint de bâtir en secret l’Etoile de la Mort, dont il a conçu les plans. Lorsque la Rebellion apprend grâce à un informateur que cette arme mortelle va bientôt être achevée, elle se tourne vers Jyn pour l’aider à obtenir des informations. Entourée d’un officier chevronné (Diego Luna, transparent), d’un robot cassant à la dégaine miyazakienne, d’un pilote ayant changé de camp (Riz Ahmed, sous-exploité) ou encore d’un moine guerrier aveugle ayant la Force avec lui (Donnie Yen, facile le personnage le plus mémorable du gang), notre héroïne se lance dans cette course contre la montre, avec à leurs trousses l’impitoyable Directeur Krennic (Ben Mendelsohn, assez inégal).
Ce qui saute aux yeux en découvrant Rogue One, c’est son sérieux, son ton presque solennel. Passée une splendide ouverture westernienne, qui donne le ton des péripéties à venir, l’univers à travers lequel file le script n’est rempli que de personnages courageux mais résignés, en colère presque contre la fatalité du destin. Rogue One parle après tout de l’apogée de l’Empire, ce moment charnière durant lequel cette personnification du fascisme absolu se dote de l’arme qui fera taire toute opposition à son contrôle. L’annihilation, l’oubli, c’est le sort auquel Jyn et ses pairs semblent condamnés, et Edwards tire de cette dimension tragique une forme de noblesse sacrificielle qui donne du corps à cette histoire calquée sur le modèle des Douze Salopards. Après tout, le but du film consiste à rendre compte des exploits d’un groupe de héros qui n’était que mentionné en quelques lignes dans le texte déroulant d’Un Nouvel Espoir. Pas étonnant que le film, lui, ait courageusement décidé de s’en passer – provoquant parmi les spectateurs habitués à ce rituel une moue interloquée.
Casting glorieux pour héros interchangeables
Malheureusement, ce qui devient au fur et à mesure tout aussi évident, c’est le manque de chair et d’intérêt de la plupart de ces nouveaux personnages, conçus pourtant avec un maximum de soin visuel et artistique (le casting est tout simplement somptueux, soulignons-le). Définis par des valeurs simples, une personnalité univoque ou même une simple arme originale, les rebelles de Rogue One se veulent valeureux et exemplaires dans leur quête désintéressée, et ont du conflit intérieur à revendre. Mais cela ne les empêchera pas pour la plupart de s’évaporer de votre mémoire sitôt la projection terminée, tant leur destinée n’est en rien surprenante, quand elle ne confine pas à la facilité un peu bêta. Ce n’est pas un hasard si les prestations faisant le plus parler d’elles dans les médias concernent les doublures numériques (à la fois photoréalistes et absolument atroces d’artificialité) de Peter Cushing et – surtout – Carrie Fisher. Ces incursions digitales au forceps de personnages canoniques s’avérent d’autant moins nécessaires que l’utilisation de Dark Vador, malgré l’inclusion d’une punchline digne de Freddy Krueger, remplit splendidement son rôle (il n’y a qu’un sabre laser allumé dans Rogue One, mais quel moment !).
[quote_left] »Edwards orchestre une cavalcade impressionnante, point d’orgue d’une œuvre splendide visuellement. »[/quote_left] Nobles mais oubliables, Jyn et ses camarades le sont d’autant plus que le montage laisse entrevoir des revirements constants, et imposants, dans la construction du scénario final. Passe encore que les reshoots donnent l’impression que le personnage de Forest Withaker soit un caméo étendu (il faudra maintenant regarder des dessins animés pour en apprendre plus sur son passé : la belle affaire). Même si le film conserve une unité de ton salutaire, le background des protagonistes est le premier à souffrir de ces hésitations de dernière minute. Jyn en particulier est loin d’être une figure engageante, passée l’attachement indéfectible qu’elle porte à son père. C’est une rebelle sans cause, manifestement, mais peinte à gros traits, et à coups de flash-backs maladroits. Pour le reste, le fossé visible entre les premières bandes-annonces de Rogue One (à revoir ici) et le montage en salles concernent surtout le troisième acte, cavalcade spectaculaire sur trois niveaux, dont le déroulement était manifestement très différent à l’origine. Etait-il seulement meilleur ? En l’état, c’est dans cette dernière pétaradante demi-heure que la mise en scène d’Edwards montre le plus ses muscles.
L’Empire et l’espoir
Située sur une planète tropicale, cette dernière partie se concentre sur l’assaut mené par l’équipe « Rogue One » pour récupérer les plans de l’Etoile de la Mort, à la fois sur les bancs de sable fin, dans la tour où sont entreposés ces données, et dans l’espace, autour d’un bouclier que la Rébellion doit détruire pour récupérer les fichiers. Partant de ce concept scénique littéralement en trois dimensions, Edwards orchestre une cavalcade impressionnante, point d’orgue d’une œuvre globalement splendide visuellement. Favorisant un découpage qui intègre plusieurs niveaux d’action dans le même plan, une caméra à l’épaule convoquant les grandes références du film de guerre, il relie ses différents enjeux en s’appuyant sur un montage alterné bien plus efficient de ceux, pépères, de George Lucas (Abrams lui aussi avait surpassé son mentor sur ce point), avec une générosité grisante et une lisibilité constante. Cascades, fusillades et dogfights vertigineux s’enchaînent, la vitesse lumière étant même utilisée cruellement dans un plan estomaquant.
Malgré l’ampleur du spectacle, qui donne à voir des batailles stellaires comme on en croise peu en dehors des cinématiques de jeux vidéo, Edwards ne perd jamais de vue les motivations, sommaires certes, de ses héros et vilains. Chacun accomplit sa destinée à la mesure de son engagement, jusqu’à l’ultime séquence où des rebelles anonymes se dévouent au péril de leur vie pour accomplir leur devoir. C’est dans ces derniers moments, où la gravité de la menace impose un effort collectif pour sauver ce qui reste d’espoir (vous la voyez, la référence ?), que Rogue One touche du doigt sa raison d’être, ce qui en fait autre chose qu’un blockbuster aussi risqué sur le papier qu’attendu à l’écran. Derrière le récit balisé, l’irruption d’un deuxième réalisateur, Tony Gilroy, grassement payé pour épauler comme à l’époque de Godzilla le jeunot Edwards, les reshoots et les CGI expérimentaux, il y a un film aux parti-pris tranchés. Handicapé par son obligation de réussite, aussi (c’est qu’il ne faut pas flinguer les chances des futurs spin-off), mais doté d’une forte personnalité. Cela n’en fait pas un chef d’œuvre : juste une preuve que l’univers étendu balayé sans préavis par Disney a tout à fait sa place sur un écran de cinéma.
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Rogue One : A Star Wars Story
De Gareth Edwards
2016 / USA / 130 minutes
Avec Felicity Jones, Diego Luna, Donnie Yen
Sortie le 14 décembre 2016
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Comment tu peux mettre 4 à The Force Awakens et 3 à Rogue One??? oO
Dans un cas comme dans l’autre, c’est une note « collégiale » qui a été choisie. Perso, j’avais mis 3 au Réveil de la Force, mais il y avait désaccord… Pour celui-ci, nous sommes d’accord sur une chose : ça méritait 3/5 (malgré, répétons-le, l’excellence de la mise en scène d’Edwards et la classe indécente de certaines scènes).