Salyut-7 : y a-t-il un camarade dans la station ?
Réponse russe au Gravity d’Alfonso Cuaron, Salyut-7 s’inspire d’un incident spatial réel pour proposer un spectacle bien rôdé, et parfois stupéfiant de beauté.
C’est désormais à un rythme métronomique que le cinéma russe de divertissement s’infiltre dans nos rayons d’inédits vidéo, avec des résultats intrigants à défaut d’être toujours pleinement convaincants. Après Attraction, The Bride, Frontier, The Spacewalker ou encore Icebreaker, sortis en France à peu près à la même période, la Russie a frappé fort avec Salyut-7. Le film de Klim Shipenko nous envoie droit dans les étoiles, pour un voyage à rebondissements et en apesanteur au sein d’une station spatiale en perdition autour de la Terre, inspiré d’événements réels. Soit le parfait mélange, à la russe, entre Gravity et Apollo 13.
« Baïkonour, on a un problème… »
Dès les premières minutes, cette grosse production qui se targue de contenir 40 minutes de métrage en gravité zéro (c’était avant que le pays envoie carrément la première équipe de tournage de film dans l’espace) met un point d’honneur à nous en mettre plein la vue. Nous sommes au milieu des années 80, et l’équipage de la station spatiale soviétique Salyut-7 s’affaire à des réparations extra-véhiculaires, dans un calme galactique qui ne peut qu’évoquer les sensations éprouvées devant Gravity. Ici aussi, les cosmonautes sont des professionnels plein de sang-froid qui ne peuvent s’empêcher de taper la discute tout en flottant dans l’espace infini – en se demandant à quoi ressemblerait le sexe en apesanteur, ce genre de choses… Un incident imprévu (un gant qui se fissure) entraîne une montée de tension qui précipite la mise en retrait de notre héros, le camarade Vladimir Dzhanibekov, revenu déboussolé sur la terre ferme. Mais, comme dans un bon vieux Space Cowboys, le destin va lui imposer une nouvelle mission : la station est tombée en panne générale, et tourne maintenant en orbite tous feux éteints. Pour l’État-major, il est vital que l’ennemi yankee ne mette pas la main sur Salyut-7, et Vladimir, accompagné d’un ingénieur plus jeune et respectueux du règlement que lui, doit s’envoler à nouveau pour la réparer, coûte que coûte…
« Salyut-7 force le respect visuellement
dès qu’il quitte le plancher des vaches »
Mélanger le côté authentique d’un feuilleton qui a captivé la nation soviétique aux frissons d’un spectacle gorgé d’effets spéciaux renversants, c’est le pari en partie remporté par Salyut-7, qui force le respect visuellement dès qu’il quitte le plancher des vaches. L’histoire racontée ici est peu connue de ce côté de l’Europe, et les circonstances comme les conséquences de la mission de Vladimir et Viktor conservent leur potentiel de mystère et de suspense. Shipenko dévoile les coulisses politiques d’un sauvetage qui impliquait à la fois pour les Soviétiques de sauver publiquement la face, une fois confrontés à cette panne générale, et de préserver leurs secrets technologiques : rappelons-nous qu’à cette époque, le concept de station spatiale internationale n’était qu’un doux rêve… D’aucuns pourront trouver l’ensemble des scènes de discussions entre généraux intransigeants, toujours prêts à appuyer sur le bouton « auto-destruction », et ingénieurs paniqués rivés aux écrans de leur centre de contrôle, redondantes et ronflantes. Elles servent pourtant de contrepoint aux séquences spatiales, et nous confortent dans cette impression de découvrir un récit miroir des grands films américains du même genre, avec quelques spécificités propres aux russes : machisme tranquille, fatalisme jovial, patriotisme un peu las, surtout dans le cas de Vladimir, dépeint comme un type expérimenté qui se moque bien de la hiérarchie, trinque à la vodka dans sa fusée et se verrait bien finir sa vie seul dans le cosmos.
Les réparateurs de l’impossible
Salyut-7 fait reposer une partie de sa dynamique narrative sur l’opposition entre le pro de l’espace, fonctionnant à l’instinct (notamment lors d’une scène d’arrimage à haut risque qui marque autant les esprits par son symbolisme phallique que par son montage stressant), et le jeune matheux un peu terne, qui connaît lui chaque boulon et panneau de contrôle de l’appareil. Comme dans Apollo 13, le film consiste à empiler une série de défaillances à résoudre de manière improvisée, ce qui donne parfois lieu, sans crier gare, à des instants stupéfiants de poésie, comme ce dégivrage qui débouche sur une pluie de gouttes immobiles, qu’il faut récupérer une à une, ou cette boule de feu qui se propage dans la station vue depuis l’extérieur. Le film de Ron Howard revient aussi à l’esprit à travers l’importance donnée aux épouses des protagonistes, dans des séquences surchargées de pathos qui apparaissent comme des passages obligés. Moins nécessaires, ces extraits de journaux télévisés où la télé américaine est montrée comme une Cassandre transformant sans finesse le moindre incident en prédiction apocalyptique.
Ces clichés et le patriotisme sous-jacent à l’affaire (le film n’a pas été projeté au Kremlin, en présence de Poutine et de ces réparateurs de l’impossible désormais retraités, pour rien), apparaissent comme un prix à payer, un polissage inévitable, pour profiter pleinement de la réalisation de Shipenko. D’un plan large montrant une fusée percer comme un volcan une masse nuageuse, à une séquence, subjective cette fois, où Vladimir s’accroche comme un damné aux panneaux de la station, en passant par le ballet orbital entre la fusée et Salyut-7, le film est au point de vue technique une perle qui montre qu’à ce niveau la Russie n’a parfois rien à envier au lointain ennemi hollywoodien.