Sea Fever : pêche en eaux troubles

par | 7 septembre 2020 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques

Sea Fever : contamination

Une partie de pêche en mer tourne à la catastrophe dans Sea Fever, huis clos maritime tendu, mais parfois poétique, qui nous a beaucoup fait penser à John Carpenter.

L’importance d’un film, ou d’un réalisateur, se mesure immanquablement au nombre d’imitateurs qui au fil des années s’en réclament de manière plus ou moins évidente. Film matriciel d’un cinéaste cité au moins une fois par semaine par une jeune pousse, The Thing version John Carpenter est à nouveau sollicité par notre mémoire sélective à la découverte de Sea Fever. Production irlandaise sélectionnée à Toronto puis à Gérardmer, Sea Fever marque les débuts au cinéma de la réalisatrice et scénariste Neasa Hardiman (Inhumans, Happy Valley). S’il peut paraître injuste de débuter la critique de son premier long en évoquant déjà ses influences (et encore, le contexte « horreur en huis clos marin » qui nous ramène au souvenir des Dents de la mer), il est indispensable de citer The Thing pour justement montrer en quoi Sea Fever, dans son approche thématique et le choix d’une horreur moins graphique, parvient à s’en écarter.

On va avoir besoin d’un plus gros chalutier

Sea Fever : contamination

Sea Fever désarçonne en choisissant comme personnage principal une étudiante en biologie marine asociale, Siobhan (Hermione Corfield). Du haut de ses connaissances scientifiques, la jeune femme goûte peu la proximité imposée avec l’équipage d’un chalutier sur lequel elle joue les observatrices de la faune maritime. Quand les marins du bateau s’accrochent aux superstitions et légendes anciennes, Siobhan parle phytoplancton et cycle de vie des espèces menacées. Même si elle se décoince au fil des événements, cette héroïne n’est pas des plus chaleureuses. Le contraste avec le couple aux commandes du rafiot, incarné par Dougray Scott et Connie Nielsen, comme avec les autres membres, est d’autant plus frappant – et intéressant à explorer, même si plusieurs de ces personnages restent sommairement dessinés. Quand le capitaine Gerard décide d’investir une zone de pêche interdite, le bateau entre en contact avec une espèce inconnue, du genre tentaculaire. Immobilisée, l’embarcation est bientôt envahie par une substance infectieuse mortelle. Chacun va devoir puiser dans ses ressources pour espérer revenir vivant à bon port…

« Il est attachant ce bateau où la promiscuité a permis de créer une communauté soudée et fragile à la fois. »

Avec sa contamination insidieuse qui infecte un petit groupe de personnages, son décor isolé du monde et l’apocalypse planant comme une menace sur l’histoire, Sea Fever ne peut donc éviter d’être comparé au classique de l’ami charpentier. Si on échappe à une scène de test sanguin (le virus est ici visible en regardant le blanc des yeux – une méthode établie après la disparition spectaculairement gore d’un des protagonistes), Neasa Hardiman se permet de faire intervenir un deuxième bateau à explorer, où les découvertes se révèlent aussi macabres que dans le « camp des Norvégiens » du film de 1982. Cette impression de déjà-vu, si elle semble assumée, ne se fait toutefois pas au détriment de la personnalité du film. D’une part, Sea Fever, grâce à une habile gestion de l’espace, tire le meilleur de son décor marin, comme chez Spielberg ou Philip Noyce (Calme Blanc) en leur temps. Il est attachant  ce bateau modeste, mais robuste, où la promiscuité et des fins de mois difficiles a permis de créer une communauté soudée et fragile à la fois.

Halte au massacre

Sea Fever : contamination

Par ailleurs, le film a l’intelligence ne pas chercher le sensationnel à tout prix. Finalement assez peu sanglant, Sea Fever joue la carte de la retenue, y compris dans le comportement de son héroïne : pour une fois, il ne s’agit pas d’exterminer la menace par tous les moyens possible, mais de trouver une solution pour retrouver la terre ferme. La créature, qui reste pour l’essentiel dans l’ombre, est moins un monstre qu’une donnée inconnue des hommes. Son instinct l’amène à voir le bateau comme une proie et celui-ci a de fait envahi un territoire symboliquement interdit, préservé. Il n’y a qu’à voir le final, qui nous prive d’un climax attendu pour privilégier une image poétique d’abandon et de fusion avec la nature, pour comprendre les intentions de la réalisatrice. Là où on s’attendait à une série B vicieuse,méchante, Sea Fever se révèle être un huis clos patient et mesuré, peut-être trop mou, peut-être trop timide. Un film entre deux eaux, sans mauvais jeu de mots, qui aurait pu s’affranchir de certains clichés et références voyantes. Pas de quoi cependant nous faire regretter d’être monté à bord.