Section 99 : coup de maître carcéral
Après Bone Tomahawk, S. Craig Zahler frappe fort, et dur, avec l’aide de Vince Vaughn, anti-héros d’anthologie d’un film d’exploitation qui ne prend pas de prisonniers !
C’était entendu depuis la présentation du film à Beaune 2018 : malgré l’avalanche de critiques extatiques qui le précèdent et la réputation grandissante de S. Craig Zahler, Brawl in cell block 99, retitré plus simplement Section 99, sort en France directement en vidéo. Il connaît ainsi le même sort que Bone Tomahawk, western cannibale qui avait signalé l’arrivée dans le paysage du cinéma indépendant américain d’une nouvelle voix unique en son genre, même si on le compare déjà à longueur d’articles à Tarantino. Le festival du film policier aura donc donné une occasion unique aux spectateurs français (dont nous faisions partie) de découvrir sur grand écran ce polar carcéral appelé à devenir culte pour toutes les bonnes raisons, en plus de donner le rôle d’une vie à Vince Vaughn. Dans Section 99, celui que l’on connaît surtout comme le grand échalas comique de classiques comme Dodgeball, Serial Noceurs et Retour à la fac apparaît transfiguré, physiquement certes, mais pas seulement.
La métamorphose du géant
La taule infernale
Après Bone Tomahawk, S. Craig Zahler rempile à nouveau à tous les postes dans Section 99, dont il est le réalisateur, co-producteur, scénariste et même compositeur, pour une BO discrète mais furieusement soul. Ceux qui n’avaient pas goûté le rythme languissant et les changements de braquets très progressifs de son western grinceront une nouvelle fois très fort des dents, tant ce deuxième long-métrage confirme et amplifie la méthode et le style de Zahler cinéaste (il est aussi un prolifique écrivain). Manifestement nostalgique du cinéma grindhouse des années 70, le réalisateur signe un film noir drastiquement différent du reste de la production US contemporaine, en ce qu’il prend le temps d’étoffer des personnages, en particulier Bradley et Lauren, non pas pour les rendre plus sympathiques aux yeux du public, mais pour lui faire comprendre leur parcours, leur éthique. Bref, pour en faire autre chose que les clichés auxquels on pourrait les raccrocher (Bradley est une machine à tuer rongée par la fatalité, Lauren une femme aimante mais seule et vulnérable).
Section 99 se caractérise aussi par une construction étonnante dans sa lente montée en tension, la prison promise n’ouvrant ses portes qu’au bout d’une heure de métrage. Une fois derrière les barreaux, le film change totalement de dimension, passant progressivement d’une forme de récit « réaliste » (caméra épaule, photo ultra désaturée) à celle d’un récit « pulp », avec des grands angles en pagaille, des séquences, comme le kidnapping de Lauren, aux allures de rêve fiévreux, et une organisation des décors traduisant très littéralement la descente aux enfers sans retour de Bradley. Surtout, cette deuxième partie laisse exploser une brutalité insensée qui s’achemine là aussi par étapes vers une conclusion gorasse à souhait. Imaginez un Story of Ricky sans exubérance et surjeu déplorable, et vous aurez une idée du niveau de sévices atteint ici !
Les poings contre les têtes
De crédible, Section 99 devient cartoonesque, comme si l’étendue du pouvoir d’annihilation de la machine Bradley, une fois tous les repères avec l’extérieur coupés, ne pouvait être traduite que dans l’outrance de maquillages prosthétiques (le film est 100 % sans CGI, ce qui est logique) et d’un sound design en rajoutant dans l’impact des bruits d’os fracassés à même le sol. Zahler filme des combats aussi expéditifs qu’insensés en plan large, le plus souvent sans coupe, pour un résultat qui peut paraître aride (la direction artistique est pour le moins dépouillée, volontairement) mais s’avère tellement distinctif qu’il en devient mémorable. La performance de Vaughn, jamais doublé et extrêmement crédible dans chaque situation, est l’ancre qui sert à solidifier l’ensemble de cette expérience.
Comme Bone Tomahawk, Section 99 ne ménage pas son public question violence. Il prend de multiples chemins de traverse avant d’asséner un coup de massue visuel préparé avec une précision maniaque. Aucune scène ne s’avère inutile à la narration, ce qui n’exclue pas, comme dans Tomahawk, de menues longueurs. Mais par la force de son écriture, cette violence trouve sa place et sa justification dans le rapport que ses personnages entretiennent avec elle. Les punitions (il n’y a pas d’autre mot) que Bradley inflige à ses adversaires découlent, comme ses décisions de pardonner sa femme, de sauver un flic ou de tirer un trait sur une vie meilleure, d’un pragmatisme glacial, que Vaughn vend avec une intensité qu’on lui connaissait peu. Pas étonnant que le comédien, ainsi qu’une bonne partie du casting, ait rempilé avec Zahler pour son Dragged across concrete. Un film qui fait déjà la tournée des festivals alors que Section 99 traverse tout juste nos frontières. Il va donc falloir être patients pour savoir si Zahler surpasse cet incroyable coup d’éclat.