Suitable Flesh : qui veut de l’érotico-gore lovecraftien ?
Hommage avoué à Stuart Gordon, Suitable Flesh suit un démon sautant de corps en corps, dont celui de la revenante Heather Graham. Bis et inégal !
L’œuvre fascinante et nihiliste de Howard P. Lovecraft n’en finit pas d’inspirer les réalisateurs de films d’horreur. Preuve en est encore donnée cette année avec Suitable Flesh, nouvelle adaptation de la nouvelle « La chose sur le seuil » : un projet avec lequel le réalisateur Stuart Gordon a flirté pendant des années. Moins connu que ses contemporains des années 80, Gordon a pourtant marqué de son empreinte le cinéma fantastique et horrifique, ne serait-ce qu’avec l’inusable Re-Animator puis le foutraque From Beyond – qui adaptaient déjà, de manière très libre et joyeusement gore les écrits de l’homme de Providence. Décédé en 2020, Gordon n’a jamais pu mener Suitable Flesh à bien. Qu’à cela ne tienne : son producteur Brian Yuzna, l’actrice Barbara Crampton et le scénariste Dennis Paoli, tous de l’aventure Re-Animator, ont fini par porter la chose à l’écran avec l’aide du réalisateur Joe Lynch, spécialiste des films plus décevants que leur pitch (Beverly, Mayhem, Knights of Badassdom).
Dans la peau d’une blonde… mais pas que
Lynch vise avec Suitable Flesh, tourné, comme nous l’apprend avec dérision le générique, en « CthulhuScope », à reproduire le même mélange d’humour noir, d’exubérance horrifique et sexuelle et de frayeur cosmique, lovecraftienne donc, qui caractérisait les films de Gordon. Un défi que le réalisateur doit qui plus est remplir avec des moyens limités, malgré la présence au générique d’un panel de comédiens installés, du bellâtre Johnathon Schaech au vétéran Bruce Davison en passant par la revenante Heather Graham. Si elle n’a jamais vraiment levé le pied (elle jouait dans pas moins de 6 films en 2023 !), l’actrice se voit offrir l’un de ses rares premiers rôles récents : elle incarne la psychiatre Elizabeth Derby, qui voit débarquer dans son cabinet un jeune homme perturbé et possiblement schizophrène, Asa (Judah Lewis, The Babysitter). Elizabeth, pourtant mariée, est inexplicablement attirée par lui. Mais Asa n’est pas malade : il est possédé par un démon ancien invoqué par son père (Davison), une entité portée sur la violence, le sexe et les bons mots, qui envahit les corps de ses victimes comme on joue à saute-mouton. Elizabeth est sa prochaine victime, et même son amie et collègue Daniella (Crampton) va se révéler impuissante face aux stratagèmes du monstre…
« Le final donne lieu à un duel d’actrices rigolo
entre Heather Graham et Barbara Crampton. »
Les 15 premières minutes de Suitable Flesh, bien moins « riche » que les précédentes productions de Lynch, ne prennent pas de prisonnier. À rebours des tendances actuelles qui tirent le film de genre vers plus de réalisme, de « pragmatisme » visuel, Suitable Flesh montre dès le premier plan qu’il joue dans une autre cour, un brin cartoonesque et démonstrative. Cheap, pourrait aussi être le mot qui vient à l’esprit, tant les décors dénudés et réduits (pour ne pas dire hideux), la photo ouatée et semi-floue digne d’un téléfilm, ainsi que le surjeu maladroit des acteurs agressent l’œil et l’esprit. Lynch ressuscite un cinéma et des codes stylistiques d’un autre temps, redonnant même vie lors des ébats entre Elizabeth et Asa aux scènes de sexe semi-osées des années 90, entre ventilateurs de plafond tournant à plein régime et solos de sax dégoulinants. S’il se fait plus et même trop rare, le gore s’invite aussi à la table, bien sûr, pour quelques scènes marquantes dont l’une fait un usage aussi inventif que percutant du radar de recul intégré dans les voitures. Passez outre la facture technique déplorable de Suitable Flesh, ses allures de série semi-Z surgie d’un autre siècle et vous déboucherez sur un dernier quart d’heure hospitalier qui exploite enfin son concept de body snatcher maléfique dégageant ses victimes de leur propre corps. Un final qui donne lieu à un duel d’actrices rigolo entre Graham et Crampton.
Lynch peut bien secouer et tourner sa caméra dans tous les sens, Suitable Flesh n’a rien d’une réussite à la hauteur du maître auquel il rend hommage. Mais pour peu que vous soyez nostalgique de ce genre de cinéma mal élevé et bordélique, le film saura vous procurer de menus plaisirs déviants.