The Coldest Game : échecs et morts à Varsovie
Bill Pullman joue une partie d’échecs cruciale pour l’avenir du monde dans The Coldest Game, curieux film d’espionnage polonais façon Le pont des espions.
Un Américain moyen envoyé en pleine Guerre Froide de l’autre côté du rideau de fer pour stopper un engrenage américano-soviétique possiblement fatal à l’équilibre du monde, ça vous rappelle quelque chose ? Non, ça, n’est pas (juste) le pitch du Pont des Espions de Steven Spielberg, mais celui, objectivement assez proche, de The Coldest Game, production polonaise – mais en anglais, ce qui a facilité son exportation et sans aucun doute son arrivée sur Netflix – réalisée par le débutant Łukasz Kośmicki (c’est son premier long-métrage), qui s’appuie sur un fonds historique bien connu pour y faire naître une totale fiction baignée avec déférence dans les codes du film d’espionnage. Nous sommes ici en l’occurrence en 1962, en pleine crise des missiles de Cuba, et les services secrets américains paniquent à l’idée que les Russes fassent arriver sur l’île des armes prêtes à décimer la côte Est des USA. Dans cette période hautement dangereuse, un ancien champion d’échecs et génie des mathématiques devenu alcoolique, Joshua Mansky (Bill Pullman) est recruté contre son gré par la CIA et envoyé à Varsovie. C’est là que se déroule un tournoi d’échecs prestigieux, qui doit opposer les champions russes et américains de la discipline. Mansky, incrédule mais au pied du mur, doit remplacer le précédent tenant du titre retrouvé mort, et comprend que cette compétition officielle sert de couverture à un échange de micro-films cruciaux, et qu’une taupe est infiltrée dans chaque camp…
Agents doubles et gueule de bois
Bien qu’il enquille, avec une absence de second degré qui mérite le respect à défaut d’avoir des points pour l’originalité, tous les clichés propres au film d’espions (du décor même de Varsovie, ses ruelles obscures, son palais stalinien de la Culture et des Sciences, au ballet de doubles jeux, empoisonnements, passages secrets enfumés, et même règlement de compte dans les toilettes), The Coldest Game refuse pendant longtemps de tendre son intrigue pour la rendre palpitante. Le côté hybride de cette co-production transparait pendant longtemps via un déroulement cahoteux, avec un paquet de personnages sommairement présentés, des intermèdes censément comiques qui tombent à plat, et un personnage principal toujours moins en avance que le spectateur. Remplaçant au pied levé William Hurt dans le rôle, Bill Pullman s’amuse visiblement beaucoup à jouer ce génie torturé bourré de TOC, plongé dans un jeu d’échecs grandeur nature qui le dépasse, et qui ne retrouve ses esprits et sa concentration que lorsqu’il est imbibé d’alcool, un peu comme les adeptes de la boxe ivre dans les films de kung-fu. Une sorte de super-pouvoir qui déclenche quelques belles scènes (comme celle où Pullman se réveille après une cuite en ayant oublié qu’il a gagné l’une des manches plus tôt dans la journée), mais qui prend une place démesurément importante au coeur d’une intrigue censée nous faire frémir pour le sort du monde.
« Bill Pullman s’amuse visiblement beaucoup à jouer ce génie torturé bourré de TOC, plongé dans un jeu d’échecs grandeur nature qui le dépasse. »
Il faudra attendre la dernière demi-heure, après un twist déployé avec une brutalité qui marque les esprits, pour que The Coldest Game prenne enfin à bras le corps les enjeux posés de manière pataude durant la première heure, et s’échappe vers un compte à rebours aux rebondissements aussi saugrenus que confus. En bon héros américain, Mansky se persuade que l’intérêt général vaut bien de laisser de côté, au moins pour un temps, son propre dégoût de la vie, et se mue en fin stratège en moins de temps qu’il n’en faut pour dire « Joseph Fitzgerald Kennedy ». Visuellement léché, et porté par un casting de bonne tenue où se distingue la filiforme Lotte Verbeek (Outlander) et Aleksey Serebryakov (Leviathan), qui dans la peau du général russe Krutov s’attribue les meilleures répliques et monologues, The Coldest Game demeure un peu trop timoré et malhabile pour marquer vraiment les esprits. Mais si vous aimez les jeux d’ombre, les traîtres à débusquer sur le fil et les tactiques d’échecs incompréhensibles, il y aura pire occupation à trouver pour remplir votre soirée.