The Dark And The Wicked : le mal en héritage

par | 23 juin 2021 | À LA UNE, Critiques, VOD/SVOD

The Dark And The Wicked : le mal en héritage

Une famille en deuil est menacée par le démon dans The Dark And The Wicked, film d’horreur rural étouffant et maîtrisé.

Dans l’océan du film de genre américain, il faut un certain talent pour sortir de la masse, pour se distinguer et marquer les esprits, consciemment ou non, du spectateur assailli de toutes parts par les propositions. En clair, il ne vaut mieux pas laisser indifférent, ce que réussit à faire, dans son coin, le cinéaste Bryan Bertino, depuis la réussite de The Strangers en 2008. Un home invasion avec Liv Tyler (qui a donné lieu à une suite tardive, Prey at Night) retors et sans pitié, coup d’éclat resté sans lendemain jusqu’à l’intéressant The Monster, qui tapait à nouveau dans l’effroi psychologique. Les deux films mettaient en scène une cellule familiale réduite (un couple, une femme et son fils) en pleine crise affective, que l’adversité (des tueurs en série, une créature non-identifiée) mettait au pied du mur pour une possible dernière réconciliation. Signe que le réalisateur n’est pas un faiseur sans histoire, The Dark And The Wicked, présenté lors de l’édition digitale du Festival de Gérardmer, brasse à nouveau les mêmes obsessions. L’adversaire prend une forme encore plus évasive et insaisissable, car démoniaque, planant sur chaque image d’un long-métrage à la noirceur et au désespoir palpable. Le titre, ici (« les ténèbres et le maudit ») n’est pas usurpé.

La ferme du désespoir

The Dark And The Wicked : le mal en héritage

C’est la maladie du paternel, cloué au lit en attendant la Faucheuse, qui réunit après plusieurs années d’éloignement, Louise (captivante Marin Ireland, croisée tout récemment dans The Empty Man) et son frère Michael (Michael Abbott Jr., fidèle de Jeff Nichols à l’affiche du prochain Scorsese), dans leur ferme familiale de l’Oregon. Les deux ont tourné depuis longtemps la page de la vie rurale, mais ils ne peuvent tourner le dos à leur mère (Julie Oliver-Touchstone), impuissante face à ce qui ronge son époux et désemparée devant la tâche qui s’annonce. Un drame intime, donc, mais universel aussi, classique. Ce qui l’est moins, c’est le mal qui semble rôder dans la vaste propriété de la famille. Des apparitions nocturnes, des bruits, un esprit qui semble prendre possession de la mère, une présence qui perturbe l’étable et prend peu à peu forme humaine. La mort prochaine du père semble attirer vers ce lieu un démon qui ne dit pas son nom, devant lequel Louise et Michael sont aussi incrédules qu’impuissants…

« The Dark And The Wicked utilise à merveille le cadre photogénique de l’exploitation agricole isolée pour en pervertir les images d’Epinal attendues. »

Pour apprécier l’engrenage maléfique promis par The Dark And The Wicked, il faut accepter d’être porté par le rythme anti-spectaculaire, anti-sensationnaliste, que Bertino imprime à son rythme. Tout comme un Isolation, Grand Prix oublié de Gérardmer qui transformait une simple ferme en antichambre confinée d’une horreur organique restant pour une bonne part dans l’ombre, The Dark And The Wicked utilise à merveille le cadre photogénique de l’exploitation agricole isolée pour en pervertir les images d’Epinal attendues, pour remplir les grands espaces d’une menace avalant, un chapitre/jour après l’autre, tout espoir, toute lumière. Le réalisateur et son directeur de la photographie sculptent dans ces ténèbres qui envahissent la nuit venue la maison et ses alentours des plans étouffants, iconiques. S’il ne rechigne pas à utiliser un ou deux jump scares, le film est largement plus adepte de la bizarrerie dérangeante, voire du macabre choquant (voir la scène de cuisine où la mère commence à confondre ses doigts avec les carottes…). Michael et Louise, qui s’opposent comme n’importe quel enfant sur la bonne attitude à adopter face à la disparition annoncée de leurs parents, sur l’héritage qu’ils devront en tirer – ou pas, le renoncement et l’émancipation étant leurs forces motrices principales -, deviennent des proies faciles, résilientes, mais dénuées de la moindre arme pour faire face au surnaturel. Même l’intervention inopinée d’un prêtre (Xander Berkeley, qui instaure le malaise sans effort) se révèle être un stratagème de plus pour faire plier leur raison.

Contrairement aux films de possession, The Dark And The Wicked ne construit pas son scénario pour aboutir à un climax rassurant ou expiatoire et cela pourra en rebuter certains. Bryan Bertino, qui atteint avec ce projet son meilleur niveau artistique, est au contraire décidé à nous emmener avec lui dans une nuit sans fin, où la mort n’est plus une libération, mais un abandon à des forces obscures et impalpables. Le long-métrage nous laisse aussi désarmés que ses héros face à l’inéluctable : c’est en cela, au sens premier du terme, un vrai et pur film d’horreur.