The Mirror : terreurs de perception

par | 10 avril 2015 | À LA UNE, BLURAY/DVD, Critiques, VOD/SVOD

The Mirror : terreurs de perception

Huis-clos surnaturel épatant, The Mirror invente une source d’angoisse d’un nouveau genre, moins ridicule qu’elle n’en a l’air. Suivez mon reflet…

Sérieusement : quoi de plus mortifiant que la perspective de voir un film d’horreur tournant autour d’un miroir maléfique ? L’idée est splendide lorsqu’elle sert un scénario plus vaste (pensez à Blanche-Neige par exemple, ou dans un genre différent, Candyman), mais comme son retitrage français l’indique explicitement, The Mirror (alias Oculus aux USA) tourne intégralement autour de la présence, dans la maison de la famille Russell, d’un massif miroir mural en ébène noir, source d’un véritable pouvoir malfaisant et surnaturel. Idiot, dites-vous ? Les prémisses du deuxième film de Mike Flanagan (après le très peu vu Absentia) sont peut-être dures à avaler, mais il serait idiot de dégager cette production Blumhouse (oui, encore elle) d’un revers de la main, tant le résultat s’apparente à une véritable réussite du genre, dont l’originalité confine parfois à l’abstraction et s’éloigne des canons américains en vigueur.

The Mirror débute avec la libération, à l’orée de ses 21 ans, de Tim Russell, enfermé depuis dix ans dans un hôpital psychiatrique, suite à cette nuit fatidique où il a causé la mort de ses parents. Sa grande sœur Kaylie est là pour le recueillir, mais ne perd pas de temps en effusions sentimentales. Tim a fait une promesse, cette nuit-là, qu’elle compte bien remplir : ils doivent détruire le « miroir Lasser », responsable selon elle du drame qui a déchiré leur famille. Pour cela, l’objet a été racheté dans une vente aux enchères, et subtilisé par la jeune femme, qui a passé de son côté des années à tenter de retrouver sa trace et cherché ses anciens propriétaires, tous ou presque décédés dans des conditions effroyables. Retournant dans la maison de leur enfance, Kaylie et Tim mettent en place le stratagème qui permettra, ou pas, de détruire pour de bon ce miroir mystérieux…

Miroir, mon horrible miroir…

The Mirror : terreur de perception

La grande intelligence de Mike Flanagan, dans ce scénario qui s’apparente avant tout à un huis-clos (adapté de son propre et ultra-fauché court-métrage The man with a plan), est d’évacuer tout parasitage inutile en concentrant l’action autour de ses deux personnages principaux (ce que confirment d’ailleurs les scènes coupées, qui faisaient interagir la famille avec des personnages parfaitement secondaires). Des relations de Tim et Kaylie, nous ne voyons que les résidus, périphériques à leur trauma personnel : le psychiatre de l’un, le petit ami de l’autre. The Mirror met immédiatement en place un système d’aller—retour temporel, qui fait au départ craindre une certaine routine, l’action repartant onze ans en arrière, du temps où les deux enfants vivaient avec leurs parents, pour décrire les prémisses d’un drame dont on connaît le dénouement.

« The Mirror ajoute au sentiment d’angoisse celui du vertige scénaristique, construisant via un montage solide et inventif un labyrinthe temporel et émotionnel. »

Ce qui apparaît d’abord comme un mécanisme illustratif s’avère être au fil du temps une source très efficace de manipulation du réalisateur : Kaylie est en effet la « Fox Mulder » du tandem, convaincue de la dimension surnaturelle du miroir et de la nécessité de le détruire (ce qui est loin d’être aussi facile qu’il n’y paraît), tandis que Tim, affecté par l’enfermement et les traitements médicaux, est le sceptique, attribuant à chaque phénomène dont ils ont été témoins enfants une explication rationnelle. Un fantôme de femme aperçu dans le bureau de leur père ? Peut-être était-ce sa maîtresse. Un chien disparu après avoir été enfermé près du miroir ? Non, répond Tim, il était juste malade et a été piqué. Soudain, les scènes du passé auxquelles nous assistons acquièrent une autre dimension : sont-elles des constructions de l’esprit, reconstruites après une vision partielle des événements, ou des reproductions objectives ? À ce jeu sur la mémoire, The Mirror ajoute une troisième dimension, perverse et ludique, qui rend le film passionnant : et si le miroir était justement ce qui altérait l’esprit de nos deux héros ?

Labyrinthe hallucinatoire

The Mirror : terreur de perception

Les critiques ont depuis la sortie du film (tourné en 2012, et qui a attendu deux ans avant d’arriver chez nous en vidéo) loué le tour de passe-passe réalisé par Flanagan avec son miroir, dont l’esthétique gothique a certes son importance, mais qui n’agit que comme un agent perturbateur de son environnement, et pas un quelconque portail vers l’enfer qui déformerait les reflets ou ferait sortir des ectoplasmes de sa surface vitrée – même si le film n’est pas avare en fantômes, loin de là. Non, le « miroir Lasser », comme le décrit l’héroïne dans une longue scène de monologue, est juste présent dans les maisons où se déroulent des drames inexplicables (une victime meurt par exemple de déshydratation dans son bain) : son mode d’attaque, que le réalisateur reprend des vieilles croyances médiévales, passe par la modification de la perception de ceux qui en approchent. L’occasion d’assister à de pesantes et douloureuses scènes de ménage entre les époux Russell (Katee « Battlestar » Sackhoff et Rory Cochrane, intenses), dont le mariage vire, à force d’hallucinations auditives et visuelles, à l’horreur pure, façon Amityville. Un drame qui se reproduit bientôt avec Kaylie et Tim, malgré les précautions de la première pour se protéger de l’influence du miroir, qui passent par un système d’éclairage et de caméras à la Ghostbusters, assorti d’un impressionnant mécanisme à poulie.

Dans son dernier acte, qui ne cède rien au minimalisme angoissant sur lequel la mise en scène s’est jusque-là basée (peu de jump scares, de longs mouvements de caméra, des cadrages symétriques judicieusement utilisés, une abondance de gros plans serrant au plus près le regard des acteurs, thèmes musicaux répétitifs), The Mirror aborde des territoires narratifs et visuels généralement plus empruntés par le cinéma japonais – on pense notamment souvent à Kiyoshi Kurosawa. Les périodes temporelles s’imbriquent progressivement l’une dans l’autre, parfois dans le même plan, les personnages ne parviennent plus à distinguer le réel et l’hallucination, et le spectateur, à sa (peut-être) grande frustration, ne sait plus, lui aussi, quel point de vue adopter sur l’action. The Mirror ajoute au sentiment d’angoisse celui du vertige scénaristique, construisant via un montage solide et inventif un labyrinthe temporel et émotionnel dont nos deux héros finissent par ne plus savoir comment sortir. Le peuvent-ils seulement ?

Les prémisses d’une franchise ? 

The Mirror : terreurs de perception

Malin, innovant et adepte d’un cinéma fantastique exigeant et sans compromis, The Mirror a tous les atouts pour lui, à commencer par son actrice principale, Karen Gillan (Les gardiens de la galaxie). Dès son entrée en scène, avec sa queue de cheval se balançant énergiquement de gauche à droite dans un long travelling, la comédienne imprime l’écran et réussit parfaitement à transmettre ce sentiment de fragilité affleurant sous une façade décidée et farouche. Face à elle, Brenton Thwaites (The Signal) est plus en retrait, mais trouve une certaine alchimie avec sa partenaire, ce qui est essentiel vu le temps qu’ils passent seuls à l’écran. Leurs « version jeunes », Garrett Ryan et Annalise Basso, sont aussi étonnamment justes, et participent à même hauteur à nous impliquer dans cette spirale familiale tragique.

Bien qu’il soit privé de sortie salles en France (l’éditeur a toutefois pris la peine de mettre en place une amusante expérience interactive autour du film, sur www.themirror-fearchallenge.com), The Mirror s’est avéré être un succès très profitable mondialement pour Blumhouse. Et le concept même du film (une famille = un drame), qui permet à la fois d’avancer et de reculer dans le temps, ouvre une myriade de possibilités pour d’éventuelles suites. Vous n’avez sans doute pas fini d’entendre parler du « miroir Lasser »…