C’était l’un des événements du festival de Sundance en 2015. Ce fut une des sensations du dernier Festival de Gérardmer cette année. Le « renouveau du cinéma d’horreur » comme s’est plu à le scander la fastueuse campagne marketing du distributeur A24 Films. The Witch s’est bâti une réputation auprès des amateurs bien en amont de sa sortie effective. L’idée n’est pas de présenter ce premier long-métrage signé Robert Eggers, réalisateur confidentiel fasciné par l’univers des contes et l’histoire médiévale, comme une sorte de date capitale dans le film de genre. À l’instar d’It Follows, il s’agit surtout d’une curiosité emprunte d’une sensibilité unique, à contre-courant des modes et des esthétiques.
Le Mal s’invite dans les chaumières
The Witch nous propulse dès son pré-générique, dès la police typo de son titre en fait, dans une période révolue, pratiquement inconnue de nous : la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle. Avant les États-Unis, avant la conquête de l’Ouest, le continent américain est une vaste terre inconnue qu’il faut conquérir et convertir. The Witch débute dans une communauté rurale, dont sont exclus William (Ralph Ineson, vu dans Harry Potter et Game of Thrones), sa femme Katherine (Kate Dickie, vue dans Prometheus et… Game of Thrones) et leurs cinq enfants. William est un puritain pur et dur qui a trop critiqué les autorités religieuses en place : ils se retrouvent isolés dans une ferme, avec quelques espoirs placés dans leurs champs de maïs et leurs chèvres pour survivre. La vie est dure, mais le cauchemar commence quand leur petit dernier, encore bébé, est enlevé sous les yeux de l’aînée, Thomassine (Ana Taylor-Joy). Le spectateur apprend rapidement qu’une maléfique sorcière est derrière ce kidnapping. Ses sortilèges menacent la petite famille, qui s’entredéchire sous son propre toit. Le Mal s’est immiscé dans la maison de William, et pas même leur Dieu ne semble prêt à venir les sauver…
[quote_center] »The Witch apparaîtrait presque comme un traité sur les us et coutumes des communautés du 17e siècle. »[/quote_center]
Le sous-titre de The Witch, un « conte populaire de Nouvelle-Angleterre », en dit déjà long sur l’angle thématique choisi pour Eggers pour raconter cette histoire, d’une simplicité justement très folklorique. Paradoxalement, il s’agit d’une œuvre dont le réalisme est aussi frappant que son ambiance de légende orale : ressuscitant un langage perdu, s’appuyant sur une musique dissonante et évocatrice, et une (somptueuse) photographie privilégiant des sources de lumière naturelle, The Witch vise l’immersion totale, et y parvient rapidement. Tout comme le Barry Lyndon de Kubrick, le travail d’Eggers évoque parfois dans certains plans dignes de toiles de maître la peinture flamande. Les thématiques du film ne sont pas si éloignées de ce courant artistique : nous plongeons dans le quotidien lointain, et pourtant si familier, d’une famille soudée dans la peur de Dieu comme du Diable. Le Siècle des Lumières n’est pas encore là, et c’est le mysticisme qui fait office de règle de vie. Le pêché rôde pour William et les siens dans chaque ombre, et ce n’est pas un hasard si les rares séquences où la sorcière en titre apparaît sont justement baignées dans des ténèbres opaques et épaisses. Très peu incarnée à l’écran, l’aura de cette dernière s’infiltre pourtant dans l’esprit de tous les personnages (même les animaux, qui deviennent peu ou prou les symboles d’un Éden inversé), et rend inquiétante la moindre parcelle de forêt ou de champ environnante. De ce point de vue, The Witch est une œuvre très accomplie : le soin maniaque apporté à sa mise en scène rend concrète une menace par essence diffuse et impalpable – tout du moins jusqu’aux dernières minutes, qui sont tout ce qu’aurait dû faire Rob Zombie dans Lords of Salem.
Du malaise, plus que de l’effroi
Le travail de recherche effectué par Eggers ne s’arrête pas à la reconstitution visuelle : l’auteur a, comme l’indique un carton de fin explicatif, épluché bon nombre de récits et de livres sur cette époque pour imaginer cette communauté ultra-pieuse, dont la dévotion vire à la folie dès lors qu’il est clair que Dieu n’existe plus – ou pas – dans leur vie, et ces manifestations de sorcellerie macabres. The Witch apparaîtrait presque comme un traité sur les us et coutumes des communautés du 17e siècle, si le récit ne virait pas dans son dernier acte vers l’épouvante promise par ses affiches, et pénétrait de plein pied dans un territoire fantastique.
Cette bascule intervient lors d’une séance de possession dantesque (alors qu’elle ne repose pas sur des effets numériques quelconques, juste la puissance d’interprétation d’un marmot débutant, Harvey Scrimshaw), qui permet d’opérer un cassement dans la continuité de la narration. Thomassine, sur qui le film s’ouvre, passe du statut de référent victimisé (ses monstrueux petits frères et sœurs la traitent de sorcière) à celui d’héroïne ambiguë. Eggers introduit des ellipses déterminantes dans son conte, nous préparant petit à petit à un dénouement plus démonstratif. La suggestion, nécessaire pour suggérer l’éveil à la sexualité de la grande sœur, le désarroi du père, littéralement désarmé, ou la confusion morale de la mère, laisse place à une horreur plus frontale. À ce stade, ceux qui venaient exclusivement chercher du grand frisson seront depuis longtemps partis. The Witch ne cherche pas à construire un train fantôme, et d’ailleurs, le film n’est pas véritablement effrayant : ce qu’il distille bien mieux, c’est du malaise, et une charge anti-cléricale et libertaire assez étonnante. Le bel exploit de The Witch tient dans ses qualités formelles, remarquables au vu du budget et de l’expérience du metteur en scène. Elles ne suffisent pas à faire du résultat un classique instantané, comme on a pu le lire. En l’état, il s’agit surtout d’une œuvre unique en son genre, dont la singularité suffit à en faire un petit événement dans un genre souvent exsangue d’ambition et de rigueur.
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The Witch
De Robert Eggers
2015 / USA / 93 minutes
Avec Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie
Sortie le 15 juin 2016
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